Fromages 12 mars 2024

Névralgiques pour la filière laitière, les fromagers manquent de bras  

SAINT-HYACINTHE – La production de fromage est le secteur qui possède les meilleures perspectives de croissance des produits laitiers, croit Charles Langlois, président-directeur général du Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ), mais paradoxalement, il manque déjà de fromagers et la retraite approche pour certains d’entre eux, s’inquiète-t-il. 

Charles Langlois

« Le métier de fromager en est un où on a de la difficulté à avoir des gens qui ont des qualifications. C’est clair que si on n’a pas de main-d’œuvre, la capacité à développer le marché est plus limitée », mentionne M. Langlois, qui observe que des fromagers de longue date sont sans relève.

On sait que c’est un défi, que ce n’est pas évident de transférer une fromagerie. Ce sont des entreprises qui ont de la valeur et des gens qui ne prennent parfois pas de vacances… Mais le sujet de la relève, il faut y penser

Charles Langlois

100 kilos de fromage, 1 000 litres de lait

L’industrie du fromage est névralgique pour les producteurs de lait, puisque 100 kilos de fromage nécessitent à eux seuls 1 000 litres de lait. Et contrairement à la demande de lait de consommation et de yogourt, qui tend à stagner ou à diminuer, selon la tendance mondiale, celle des fromages demeure forte, assure Charles Langlois. « Dans le fromage, les perspectives de croissance sont intéressantes. On pense qu’il y a de la place pour progresser. Ça va compenser la baisse de certaines autres catégories. Il y a du potentiel pour de nouvelles fromageries. On augmente d’une ou deux par année. Et celles qui rentrent réussissent habituellement à faire leur place et à demeurer. »

D’où l’importance de renverser la vapeur et de former une main-d’œuvre compétente qui soutiendra l’industrie fromagère et laitière. Car la pénurie de ressources humaines n’affecte pas seulement la croissance de ce secteur, mais aussi la qualité des fromages, dont les étapes de fabrication ne tolèrent pas l’erreur, assure Julien Chamberland, enseignant en technologie fromagère à l’Université Laval. Des problèmes de texture, de durée de conservation ou de saveur du fromage peuvent résulter d’un manque d’expertise, fait-il remarquer.

Quatre nouvelles formations 

En 2022, l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ) a lancé une attestation d’études collégiales d’une durée d’un an en Techniques de transformation du lait en produits laitiers, à son campus de Saint-Hyacinthe. Pour attirer les étudiants, le CILQ offre même une bourse de 2 500 $ à ceux qui termineront ladite formation et respecteront certains critères. 

La Terre a rencontré la douzaine d’élèves qui font partie de la formation, le 13 février. Le groupe préparait du fromage dans trois cuves, dont un lot de gouda, qui était truqué, avec un manque délibéré de calcium qui compliquait la vie des étudiants. « On fait volontairement des défauts pour qu’ils apprennent à les maîtriser et à voir la cause à effet. Quand ils arriveront en industrie, et qu’ils auront un problème, on veut qu’ils disent : ‘’Ah oui, j’ai déjà vu ça’’ », explique Patrick Leduc, coordonnateur de cette technique à l’ITAQ.

Le même raisonnement s’applique à l’équipement, que l’Institut ne veut pas trop automatiser. « Si c’est la machine qui fait tout, et qu’ils arrivent dans une petite fromagerie qui n’a pas d’équipement si avancé, ils ne seront pas fonctionnels. Car le lait est une matière première extrêmement variable, selon les saisons, le type de troupeau, etc. Et faire un produit constant avec une matière si variable est un défi. C’est pour ça qu’on leur fait beaucoup construire eux-mêmes leur apprentissage », ajoute M. Leduc. 

Ce dernier se dit par ailleurs heureux de revoir une formation portant spécifiquement sur la transformation laitière à l’ITAQ. L’Institut est situé à un jet de pierre du site de l’ancienne École de laiterie de Saint-Hyacinthe, fondée en 1892. Le répertoire patrimonial du gouvernement québécois souligne qu’il s’agissait de la première du genre sur le continent nord-américain. 

Soulignons que le Cégep de Chicoutimi vient de mettre au point une attestation d’études collégiales nommée Contrôle des procédés technologiques en fromagerie. Cette formation devrait recevoir sa première cohorte en 2024-2025, et les cours pratiques devraient être dispensés en usine et par l’entremise des installations de l’ITAQ à Saint-Hyacinthe. 

Une étudiante déverse le lactosérum, une matière que l’ITAQ veut valoriser davantage dans d’autres productions, comme un projet de bière où 50 % de l’eau a été remplacée par du lactosérum. Photo : Martin Ménard/TCN

Finalement, l’Université Laval entend contribuer à développer davantage l’expertise des fromagers. L’établissement qui offre, depuis 2022, un microprogramme de deuxième cycle en technologie fromagère lancera, en 2024, une école d’été qui se concentrera spécifiquement sur l’étape la plus importante du procédé de fabrication fromagère, soit la coagulation du lait.  

Des futurs transformateurs de lait issus des minorités culturelles

Une évidence sautait aux yeux lorsque La Terre s’est rendue à l’ITAQ de Saint-Hyacinthe, le 13 février : près de la moitié des étudiants du nouveau programme d’études en Technique de transformation du lait en produits laitiers était issus des minorités culturelles. L’un d’entre eux, d’origine haïtienne, a raconté qu’un métier en transformation laitière l’intéressait, car il avait déjà travaillé dans ce domaine dans son pays. Le coordonnateur du programme de formation, Patrick Leduc, remarque que les immigrants choisissent cette formation en raison des perspectives d’emplois intéressantes dans ce secteur. Recruter de la main-d’œuvre directement à l’étranger est une solution déjà retenue par des fromageries, ajoute Charles Langlois, du CILQ. « En Europe et en Afrique du Nord, les gens connaissent le lait. Ils ont eu une formation. Le défi, c’est l’immigration, les permis de travail et s’assurer qu’ils restent à long terme. »