Territoire 8 avril 2024

La construction de résidences en zone agricole, un parcours épineux

En septembre, la fille de Jean Gagnon, un producteur de céréales et de petits fruits sur l’île d’Orléans, près de Québec, a emménagé dans la maison qu’elle a pu ériger sur la terre agricole familiale, où elle travaille avec son père. 

Ce droit de construire une résidence en zone agricole pour les producteurs, leurs enfants ou leurs employés est conféré, selon certaines conditions, par l’article 40 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA), instaurée en 1978 (voir l’encadré). 

Or, pour bien des producteurs, ce privilège n’est pas simple à obtenir, car plusieurs critères doivent être remplis avant d’y avoir droit. Jean Gagnon et sa fille Annie en savent quelque chose. La Commission de la protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a refusé à deux reprises leur demande, en 2021 et en 2022, estimant que l’entité agricole n’était pas viable et que les revenus qui en étaient tirés ne permettaient pas de faire vivre une famille.

« [Cette décision] nous a vraiment insultés. C’est pour ça qu’on a pris un avocat et qu’on est allés au Tribunal administratif. Ça nous a retardés de deux ans, cette affaire-là », déplore M. Gagnon, qui avait pourtant obtenu sans problème l’autorisation pour construire une maison pour son autre fille, il y a vingt ans. Ses deux filles représentent la quatrième génération de l’entreprise agricole exploitée par le producteur et sa conjointe sur l’île d’Orléans depuis 1982.

Le Tribunal administratif du Québec, dans un jugement rendu le 22 février 2023, leur a donné raison en infirmant la décision de la CPTAQ, à qui il a reproché d’avoir fait  « des erreurs de droit et de fait déterminantes dans son application des critères de la principale source de revenus et de viabilité de l’entreprise agricole », peut-on lire dans cette décision.

Un nouveau courant jurisprudentiel

Selon Me Charlotte Bourget-Rousseau, avocate spécialisée en droit agricole au cabinet BHLF Avocats, cette décision s’inscrit dans un nouveau courant jurisprudentiel qui a été instauré après une importante décision rendue en 2021 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Roy contre la CPTAQ.

Cette décision-là a confirmé que la Commission devait faire une application plus souple des critères de l’article 40 de la LPTAA. Une approche moins comptable, moins rigide, pour que ce soit plus conforme avec l’intention originale du législateur, qui est de permettre aux producteurs agricoles de s’établir

Charlotte Bourget-Rousseau

L’avocate estime d’ailleurs que des producteurs dont les dossiers ont été refusés dans le passé sur la base de ce critère de viabilité de l’entreprise pourraient refaire une demande à la CPTAQ et espérer cette fois obtenir un avis favorable.

C’est d’ailleurs ce que compte faire un jeune couple de producteurs maraîchers du Centre-du-Québec, qui estime que cette rigidité de la loi leur met des bâtons dans les roues, puisque leur travail serait simplifié s’ils pouvaient vivre à proximité de leur exploitation. « Nous, on pensait pouvoir se construire rapidement, mais, comme toute entreprise en démarrage, ç’a pris du temps avant de rentabiliser le projet », déplore la productrice, qui préfère conserver l’anonymat pour ne pas nuire à la nouvelle demande qu’elle compte déposer cet automne.  Elle espère que la jurisprudence l’aidera à obtenir gain de cause, malgré le fait que les experts consultés lui ont suggéré d’attendre d’être en mesure de se verser un meilleur salaire avec son entreprise.