Technologie 2 avril 2024

Des copeaux qui renaissent de leurs cendres

Si tout se passe bien, en mai prochain, on inaugurera les locaux du premier Centre provincial d’expertise en énergie biomasse, à Saint-Marc-des-Carrières, dans Portneuf. Celui-ci est situé à une enjambée de Saint-Gilbert, l’une des premières municipalités à s’être doté d’un système de chauffage à base de copeaux de bois, lequel dessert, encore aujourd’hui, le presbytère, l’église et l’hôtel de ville. 

Jean-Pierre Naud

« On a beaucoup appris dans tout ça. Les erreurs, on les a faites! » explique le président du Centre d’expertise, Jean-Pierre Naud, qui a contribué à mettre en place le système de Saint-Gilbert. Doublé d’un espace de démonstration des technologies, le Centre conseillera les producteurs forestiers, les agriculteurs, les municipalités et toute autre organisation intéressée par cette technologie. 

Des ratés, Saint-Gilbert n’est pas la seule à en avoir connu. Le principal enjeu, de l’avis de plusieurs, s’avère la machinerie, qui repose sur une nouvelle approche, soit l’alimentation aux copeaux de bois, qui est désormais automatisée. « Avant, on donnait des subventions aux entreprises québécoises qui ne connaissaient rien à ce secteur », mentionne Réjean Coté, secrétaire-trésorier de la coopérative Énergies Nouvelles Johannoises, rassemblant plusieurs producteurs forestiers et offrant ce service. Claudia Goulet, qui représente la filière biomasse à l’Association québécoise de l’énergie renouvelable, abonde dans le même sens. « On a déjà fabriqué de la machinerie à partir de plans qui nous avaient été fournis. Et on va se le dire; c’était pourri », explique cette employée de Combustion Expert Énergie, une entreprise offrant des systèmes pour différents types d’énergies renouvelables.

Pour s’assurer d’un fonctionnement optimal du système automatisé, la taille et le degré d’humidité des copeaux doivent être ajustés selon le type de machinerie, ce qui faisait souvent défaut il y a une dizaine d’années. Photo : Gracieuseté d’Énergies Nouvelles Johannoises
Pour s’assurer d’un fonctionnement optimal du système automatisé, la taille et le degré d’humidité des copeaux doivent être ajustés selon le type de machinerie, ce qui faisait souvent défaut il y a une dizaine d’années. Photo : Gracieuseté d’Énergies Nouvelles Johannoises

Résultat : plusieurs utilisateurs ont été échaudés et la filière a vivoté depuis 10 ans. Mais certains recommencent à s’y intéresser. Parmi eux, William Pelletier, agriculteur et entrepreneur. Il a d’abord sondé les gens qui avaient utilisé cette technologie par le passé.

En plus de la machinerie, il y avait des problèmes de grosseur et de taux d’humidité des copeaux. Les gens n’utilisaient pas non plus le bon combustible pour le bon appareil. On a réalisé que pour commercialiser ce système avec succès, il fallait contrôler la chaîne de A à Z. 

William Pelletier

Comme plusieurs, William Pelletier voit un grand potentiel dans la filière. D’abord, le Québec peut, selon Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec, compter sur l’abondance de matière première. Il estime que la mise en marché de la biomasse résiduelle représente environ 2 % du volume de bois vendu. 

Le nouveau Centre provincial d’expertise en énergie biomasse présentera notamment les technologies en application. Photo : Gracieuseté de Jean-Pierre Naud

Une vision de proximité

Il reste que le secteur fait face à une contrainte : le tarif offert aux producteurs forestiers pour la biomasse résiduelle. « C’est ce qui coûte le plus cher à récolter, mais le produit sur lequel on a le moins de revenus », précise M. Miville.  Cela dit, il souligne que dans un marché court, sans frais de transport et avec peu d’intervenants, le prix de vente est meilleur. 

Selon les experts, dont Jean-Pierre Naud, le développement de ce secteur passera par la multiplication des circuits courts, dans un rayon de
80 km. « Pour que ce soit financièrement et écologiquement rentable, on ne peut pas déplacer la matière première avec des camions à essence, fait-il remarquer. Il pourrait y avoir 1 000 villages qui produisent 1 000 kilowatts au Québec. Ce serait l’équivalent de Manic 5. » 

Évelyne Thiffault

Pour Evelyne Thiffault, professeure au Département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval et spécialiste de la biomasse forestière, l’approche coule de source, particulièrement pour l’agriculture. « Utiliser de la biomasse forestière résiduelle d’à côté pour chauffer des serres ou des étables, pour sécher du grain ou bouillir de l’eau d’érable, c’est un eldorado », affirme-
t-elle.  

Une filière à bâtir

Pour passer à la prochaine étape, Jean-Pierre Naud estime qu’il y a un grand besoin de formation. « Nous sommes allés voir en Europe, où cette filière est très développée, et c’est comme ça qu’ils ont procédé, dit-il, en se professionnalisant. Ils ont 30 ans d’avance sur nous. »

L’apparition d’une nouvelle machinerie donnera aussi un grand coup de pouce. « Maintenant, on vend des installations qui viennent d’Allemagne, de France, de Finlande », explique Claudia Goulet.

Le hic est que les installations sont coûteuses. « C’est difficilement rentable. Ça prend des subventions et, heureusement, il y en a », explique Emmanuelle Rancourt, porte-parole de Nature Québec, qui a accompagné 70 organisations dans ce type de projets ces dernières années. « Tout le monde qu’on a accompagné nous a dit être très satisfait », précise-t-elle. 

Faire du steak haché avec du filet mignon

Selon la professeure Évelyne Thiffault, chauffer à l’aide de l’hydroélectricité est une hérésie : « C’est comme de prendre du filet mignon pour faire du steak haché. Je ne comprends pas pourquoi on a utilisé de l’hydroélectricité pour chauffer des serres. Ça devrait plutôt être utilisé pour le transport automobile, par exemple. »

Emmanuelle Rancourt, de Nature Québec, croit que le Québec a besoin d’une vision globale en matière d’énergie. « C’est un peu étrange qu’on encourage l’installation de système triphasé [une infrastructure qui permet de fournir près de deux fois l’énergie des systèmes monophasés] pour chauffer des serres, estime-t-elle. Avec les limites auxquelles on fait face, il va falloir apprendre à utiliser la bonne énergie à la bonne place. » 

Combien en prendre et combien en laisser?

La dégradation du bois dans la nature émet du méthane, un puissant gaz à effet de serre, mais elle contribue aussi à la santé des sols, de même qu’à la biodiversité. Selon la professeure Évelyne Thiffault, il est possible de soustraire une bonne quantité de biomasse résiduelle sans que cela ait un impact environnemental négatif.  « On pourrait sans problème en récolter 70 %, dit-elle. C’est plus les questions de coûts et la difficulté technique qui font qu’à l’heure actuelle, c’est même difficile pour les producteurs forestiers de prélever plus de 50 %. »