Relève 22 janvier 2024

Des joyaux agricoles disparaissent, faute de relève

Notre-Dame-de-Stanbridge – « On est plusieurs producteurs de notre génération dans la même situation : on a aimé l’agriculture, on a vécu de belles années, on a porté nos entreprises à bout de bras, on en est fiers, mais il y a une fin qui s’en vient [la retraite arrive, sans relève]. Et c’est difficile », résume l’agricultrice Nathalie Lessard. 

Son conjoint, Alain Choinière, ajoute que « c’est très brise-cœur » de se départir de la ferme qu’il a lui-même reprise de son père en 1992, à Notre-Dame-de-Stanbridge, en Estrie. Son troupeau de haute génétique et sa ferme sont pour lui un joyau. L’entreprise Alna Holstein a d’ailleurs été décorée, l’automne dernier, d’une médaille d’argent à l’Ordre national du mérite agricole. 

Quand l’âge de la retraite sonne 

Un rapport de 2023 mené par la Banque Royale du Canada indique que dans 10 ans, 60 % des exploitants agricoles auront plus de 65 ans. « Jamais autant d’agriculteurs canadiens n’ont été aussi près de la retraite. […] 66 % des producteurs n’ont pas de plan de relève […], l’agriculture du Canada est donc sur le point de vivre l’une des plus grandes transitions de son histoire en matière de main-d’œuvre et de relève des dirigeants », indiquait le rapport. 

Ces chiffres sont à prendre avec un grain de sel, nuance le directeur général de l’UPA, Charles-Félix Ross, spécifiant que l’âge moyen au Québec est plus faible que dans le reste du Canada et qu’on retrouve une portion encourageante de relève non apparentée. Il signale cependant que certaines fermes se retrouvent sans relève et sont vendues à des entreprises plus grandes, créant une forme de concentration qui, selon lui, nuira à l’agriculture et à tout le milieu rural québécois.

Surtout que dans certains secteurs agricoles comme la production laitière, le nombre de fermes diminue chaque année.

Nathalie Lessard et Alain Choinière discutent de l’avenir de leur ferme presqu’à tous les jours, ces temps-ci. 

L’œuvre d’une vie à transférer ou… à démanteler

Au-delà des chiffres, il y a les émotions. Nathalie Lessard et Alain Choinière ont la gorge nouée quand ils regardent leurs vaches. Le couple se donne quelques mois encore avant de prendre la grande décision. Le corps meurtri d’Alain Choinière l’oblige à passer le flambeau, mais aucun candidat ne lui paraît propice.

Au début, on était bien confiants de trouver quelqu’un à qui transmettre notre passion. Chaque fois, on a été déçus. Les gens ne sont pas prêts à travailler les soirs et encore moins la fin de semaine. Ils s’en vont après avoir essayé trois ou quatre mois, et ça devient encore plus lourd pour nous.

Alain Choinière

Le couple n’est pas prêt à faire des concessions sur le prix à quelqu’un qui ne veut pas s’investir à long terme ou qui n’aura pas l’amour des vaches et de la conformation. « On a monté un troupeau pur sang qui a doublé la production laitière, on a vendu des embryons à travers le monde. Notre préfixe Alna [la partie du nom de la vache associé à la ferme] est important pour nous, on veut qu’il continue. Mais vendre la ferme à quelqu’un qui rentre des robots, et pour payer ses bébelles, qui délaisse le côté génétique, pour moi c’est un peu un non-sens ». Le cas échéant, ils démantèleront leur ferme et feront encan. La Terre a constaté en personne tout le bouleversement et la douleur que pose ce dilemme sur l’avenir de leurs vaches. « Avoir travaillé toute une vie pour monter ça, toute la passion qu’on y a mise, si on fait encan, ce ne sera pas long que tout ça va se dissiper. Ça me brise le cœur, vous n’avez pas idée comment », souffle M. Choinière.

Reportage : Martin Ménard / Montage : Jérôme Vaillancourt