Phytoprotection 3 avril 2023

Résistance aux herbicides : un combat de tous les instants

Effet pernicieux de l’usage des produits de synthèse, la résistance aux herbicides est devenue un véritable casse-tête pour certains producteurs et leurs conseillers. Deux spécialistes nous expliquent comment se produit le phénomène et nous fournissent quelques pistes pour en limiter la propagation.

Dans le monde, la résistance aux herbicides concerne 225 espèces de mauvaises herbes dans au moins 70 pays. Selon les tests réalisés par le Laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection (LEDP) du MAPAQ et du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), 475 populations de mauvaises herbes résistantes ont été confirmées au Québec de 2011 à 2021, parmi lesquelles on retrouve principalement la petite herbe à poux (39,1 %) et l’amarante tuberculée (14,3 %). Chez ces deux espèces, plusieurs populations présentent des multirésistances à deux groupes ou plus d’herbicides. La plupart des populations résistantes ont été découvertes dans des champs de soya (70 %). Néanmoins, le phénomène demeure largement sous-estimé puisque les tests sont effectués sur une base volontaire.

Au Québec, 59 des 72 populations d’amarante tuberculée ayant une résistance tolèrent deux groupes d’herbicides et plus.

Un phénomène insidieux

Disons-le simplement, la résistance se développe par un usage répétitif du même groupe d’herbicide contre une espèce indésirable. « Si notre champ abrite plein de mauvaises herbes et qu’on utilise le même produit année après année, il y aura toujours un ou deux individus qui auront la bonne combinaison génétique pour survivre au traitement », explique Marie-Josée Simard, malherbologiste à Agriculture et Agroalimentaire Canada. 

Celle-ci rappelle que si la survie d’un ou deux plants paraît anodine, certaines espèces peuvent se multiplier par 100 même dans des conditions difficiles, sans compter leur capacité à produire plusieurs milliers de graines qui peuvent émerger plusieurs années plus tard. « L’année suivante, si je remets le même herbicide, je viens à favoriser les individus résistants et au bout de 3-4 ans, je perds le contrôle. » 

Pour éviter ce phénomène de pression de sélection, les producteurs doivent effectuer une rotation des groupes d’herbicides. Mais ce n’est pas toujours simple. « Le choix des herbicides dépend souvent du choix des cultures. Les producteurs des régions nordiques n’ont pas accès à une tonne de produits homologués pour le blé ou le canola et faire une rotation devient complexe », nuance Sandra Flores-Mejia, chercheuse en malherbologie au CÉROM. 

Par ailleurs, elle constate que le concept de rotation des groupes d’herbicides est généralement mal compris. « Parfois, on dit le faire ou on pense le faire, mais on choisit le même mode d’action sous des noms commerciaux différents », dit-elle. 

Chose certaine, les producteurs ne peuvent pas se fier uniquement sur les herbicides pour endiguer ce phénomène. « Si on espère un nouveau produit miracle, on risque d’attendre longtemps. Ça fait 25 ans qu’on brasse la même soupe, tranche Marie-Josée Simard. Il faut songer à des alternatives aux herbicides si on veut pouvoir les utiliser encore pendant plusieurs années. »

Biosécurité et régie de culture

En plus de la maîtrise des concepts clés en lien avec la résistance, Sandra Flores-Mejia insiste sur l’importance de la biosécurité pour les producteurs et les forfaitaires. « Cela signifie entre autres de laver les véhicules et les machineries entre deux champs pour éviter la dispersion de mauvaises herbes. Évidemment, cela coûte quelque chose, mais c’est peu cher en comparaison des impacts économiques engendrés par la présence de mauvaises herbes non contrôlées dans un champ », fait valoir la chercheuse. Par exemple, le coût d’un contrôle très serré de l’amarante tuberculée – dont certaines populations ont des résistances multiples – peut être six fois plus qu’élevé qu’un simple traitement au glyphosate. 

Marie-Josée Simard recommande par ailleurs aux producteurs de songer à des aménagements intégrés et à des pratiques alternatives comme l’introduction de céréales dans ses rotations, l’augmentation du taux de semis et l’implantation de cultures de couverture pour concurrencer avec plus d’efficacité les populations de mauvaises herbes. 

La lutte collaborative permettrait aussi aux producteurs d’être plus efficaces pour prévenir la résistance des mauvaises herbes, plaide la malherbologiste du CÉROM. « Étant donné la facilité avec laquelle le pollen ou les graines de certaines espèces peuvent voyager d’un champ à l’autre, toutes les actions entreprises à la ferme ont un impact sur les voisins. Il est important d’échanger des informations et de développer des stratégies communes, sur le partage de machinerie par exemple, pour limiter le phénomène », ajoute Sandra Flores-Mejia. 

Enfin, cette dernière enjoint les producteurs qui soupçonnent la présence de mauvaises herbes résistantes à recourir sans hésiter au service du LEDP du MAPAQ, « le plus complet au Canada ».