Environnement 13 mai 2024

Malgré les efforts, le milieu agricole québécois ne capte pas de carbone

Saint-Nazaire-d’Acton – Plusieurs agriculteurs adoptent des pratiques pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. Ils sèment les plantes de couverture et essaient de diminuer les doses d’azote. Néanmoins, le bilan est tout de même négatif. Le milieu agricole québécois demeure un émetteur de gaz à effet de serre (GES), révèle le chercheur Sylvestre Delmotte. 

Ce dernier a analysé près de 72 fermes du Québec et tire la conclusion que la majorité des champs perdent de la matière organique. Donc, plutôt que de séquestrer du carbone, ils en perdent. « Et le bio n’y échappe pas », dit celui qui possède un doctorat en agronomie et qui agit comme consultant en agroenvironnement pour le projet Agriclimat. Il publiera ses résultats dans une étude exhaustive sur le sujet plus tard en 2024. 

Deux chocs

À Saint-Nazaire-d’Acton, en Montérégie, le producteur Éric Lapierre a eu toute une surprise quand il a reçu son bilan carbone en 2022. Malgré ses terres en semis direct depuis plus de 20 ans, malgré sa gestion des passages de tracteurs visant à diminuer la compaction et malgré l’abandon de l’énergivore culture du maïs-grain, il y a quatre ans, sa ferme est loin d’être carboneutre. Elle émet même 6 t/ha de CO2, soit près de 2 000 tonnes de CO2 au total.

Le bilan nous a surpris. [Les gens d’Agriclimat] m’ont demandé d’où je croyais que ça venait. J’ai répondu que c’était sûrement le diesel des tracteurs et le propane. Mais non! Le carburant, c’était seulement 5 % du total de mes émissions. Un gros poste de mes émissions, c’était l’utilisation de l’azote

Éric Lapierre

La fabrication des engrais azotés nécessite l’utilisation de gaz naturel, ce qui crée des émissions de GES. De plus, le simple fait de fertiliser les sols avec des engrais de synthèse ou organiques entraîne souvent un volume d’azote supérieur aux besoins des plantes à un certain moment. Les micro-organismes présents dans le sol transforment ces surplus d’azote en protoxyde d’azote (N2O), un gaz qui s’échappe alors vers l’atmosphère et qui équivaut à 265 fois le CO2

Éric Lapierre (à gauche) est heureux de voir débarquer les chercheurs chez lui, notamment pour mesurer les diminutions d’émissions de GES qu’il pourrait réaliser en utilisant un inhibiteur d’azote. Photo : Martin Ménard/TCN

Mais tout ça ne représentait que la moitié de son bilan.

« Le deuxième choc qu’on a eu, c’est quand ils m’ont dit que l’autre moitié de mes émissions venait de mes sols, en raison de mon taux de matière organique qui a diminué de 0,04 % par année. Ça, c’est le bout qu’on ne savait pas », relate M. Lapierre, qui cultive 346 hectares. « Le bilan nous a déculottés. Au moins, pour la première fois, on avait des chiffres sur notre empreinte environnementale. À partir de là, tu peux te faire un plan de match », indique-t-il.

Ralentir l’azote

En 2024, une équipe d’Agriculture et Agroalimentaire Canada vient mesurer le protoxyde d’azote dans ses champs presque chaque semaine. Des tests avec des inhibiteurs d’azote y sont réalisés. Sylvestre Delmotte affirme que la combinaison de deux inhibiteurs vient ralentir la nitrification pour permettre à la plante d’avoir accès aux éléments fertilisants sur une plus longue période plutôt que les surplus soient transformés en protoxyde d’azote par les micro-organismes. « On s’attend à des réductions d’émission de protoxyde d’azote de 30 à 40 %. C’est très significatif », mentionne le chercheur.

Un processus lent

En ce qui concerne la perte de carbone et donc, les émissions de GES des sols, la solution proposée est de stopper la diminution du taux de matière organique et, idéalement, l’augmenter. Sylvestre Delmotte ne veut pas être rabat-joie, mais il précise que tout est lent avec la matière organique. « Ça prend 20 ans pour perdre 1 % de matière organique, et c’est encore plus long d’en gagner. On parle de 50 ans pour gagner 1 %. L’important, c’est de stabiliser la baisse. On voit l’effet des pratiques, comme les cultures de couverture. » 

Les réchauffements climatiques pourraient toutefois compliquer la situation en accélérant la perte de cette matière organique, en surface ainsi qu’en profondeur, prévient la professeure-chercheuse Marie-Élise Samson, de l’Université Laval.  

Le semis direct, pas si gagnant

Les émissions de GES et la séquestration de carbone en agriculture comportent encore leur lot d’inconnu et d’incongruité. Le semis direct, par exemple, est louangé depuis longtemps pour ses vertus associées à la structure du sol. Or, il apparaît que le potentiel de cette méthode culturale pour la séquestration du carbone dans les sols québécois est peut-être surestimé, dit la professeure-chercheuse Marie-Élise Samson, de l’Université Laval. Si le semis direct mène généralement à une augmentation des stocks de carbone à la surface du sol, dans la couche 0 à 30 cm, elle indique que le labour offre l’avantage d’augmenter les stocks de carbone en profondeur, où les conditions plus froides peuvent ralentir la minéralisation.

Éric Lapierre et Sylvestre Delmotte. Photo : Martin Ménard/TCN

Variations de matière organique au Québec

Sylvestre Delmotte précise que la situation de la matière organique est différente selon l’historique des cultures des fermes et selon les régions. Dans l’est du Québec, par exemple, il a observé des terres avec 8 % de matière organique, surtout celles qui intègrent des rotations de plantes fourragères depuis des générations. Dans le sud du Québec, des décennies de grandes cultures ont plutôt diminué le taux de matière organique à 3 % par endroits. Dans certaines de ces fermes qui ont atteint un plateau, le chercheur a cependant remarqué que l’adoption de meilleures pratiques culturales avait légèrement renversé la tendance en présentant une légère hausse de matière organique.