Bâtiment 23 octobre 2023

Ils habitent d’anciennes écoles de rang

C’est par hasard que Claire Julien a découvert qu’elle habitait une ancienne école de rang. Pour régler une infestation de souris, la résidente de Saint-Charles-Borromée, dans Lanaudière, a ouvert un premier mur. « J’ai défoncé les plafonds et j’ai trouvé des poutres et des moulures en bois, un plafond beaucoup plus haut, raconte-t-elle. Ça avait été camouflé par deux constructions. »

Mme Julien a alors plongé dans les archives de la société d’histoire locale et de Bibliothèques et Archives nationales du Québec pour découvrir que sa maison a été érigée en 1841 afin d’accueillir les élèves de la paroisse, fondée l’année précédente. La dame a entrepris de redonner ses lettres de noblesse au bâtiment, un projet de restauration qui a duré 20 ans. « Des maîtresses m’ont raconté leur histoire. Pas d’eau, pas d’électricité, des toilettes sèches dehors. C’était comme Les Filles de Caleb! C’est notre patrimoine et c’est important », affirme-t-elle.

Le projet de restauration de Claire Julien a duré 20 ans. Photo : Gracieuseté de Claire Julien

Plus de 5 000 bâtiments à adapter

Le témoignage de Claire Julien est représentatif du sort subi par plusieurs des
5 125 écoles de rang, selon le recensement effectué dans les années 1970 par l’historien Jacques Dorion. Avec la Révolution tranquille et la modernisation du système d’éducation qui a suivi le rapport Parent, les écoles de rang ont été abandonnées au profit des écoles publiques. De la fin des années 1950 au début des années 1960, plusieurs ont été rachetées pour être converties en résidences. 

Louise Levasseur, de Villemontel, en Abitibi, est trop jeune pour avoir fréquenté les écoles de rang, mais ses parents, qui ont racheté l’ancienne école pour fonder leur famille, lui ont maintes fois raconté cette époque d’agriculture de subsistance, de défrichage de terres argileuses d’Abitibi et d’enseignement strictement catholique. Maintenant que la maison de son enfance est à vendre, elle souhaite partager des bribes d’histoire témoignant de l’époque où cette école de rang accueillait des élèves.

« Il y avait une salle de bain seulement. C’était très froid. Les élèves, peut-être 8 ou 10 personnes, se connaissaient tous : les Turgeon, les Roullier, etc. Quand il manquait de lait, de beurre ou d’œufs [chez eux], ils partageaient. Ma mère venait à l’école à pied. Elle n’aimait pas beaucoup l’école et aurait aimé apprendre plus. Elle trouvait qu’il y avait de l’injustice dans la façon d’éduquer », témoigne-t-elle, émue. 

À un peu moins de 200 kilomètres au sud, à Saint-Bruno-de-Guigues, les Côté-Olivier, propriétaires de la Ferme Nordvie, ont converti une ancienne école de rang en résidence multigénérationnelle. Sylvie Côté a accordé un soin particulier à préserver les caractéristiques architecturales de l’époque : grandes fenêtres pour maximiser l’apport de lumière naturelle, plafonds de 12 pieds de haut, toit à quatre pans et respect de la proportion baptisée
« nombre d’or », qui influence l’architecture depuis l’Antiquité, notamment dans l’édification du Parthénon. 

« Cette école n’était pas faite en bois, mais en béton. Parce qu’il y avait, au Témiscamingue, une usine qui fabriquait ces gros blocs. Et il y a un revêtement extérieur cuit sur le bloc, embossé avec un fini blanc. Même si elle est immense, avec 65 pi de façades, elle n’a pas l’air si immense. Maintenant, nos écoles publiques sont souvent des boîtes carrées un peu laides, sans éléments architecturaux harmonieux ou beaux. Cette école a été construite selon des principes qui font qu’elle est belle à regarder », estime Mme Côté.