Maraîchers 6 mai 2024

Qui sont-ils?

Les quatre agriculteurs derrière le nouveau Mouvement pour la souveraineté alimentaire des Afro-Québécois.es ont chacun une histoire de vie qui mérite qu’on s’y attarde.


Hamidou Maïga. Photo : Gracieuseté d’Hamidou Horticulture

L’explorateur cultural

« Est-ce que ce légume pousserait au Québec? » Voilà la question que s’est posée Hamidou Maïga pendant ses études en agriculture à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ), il y a un peu plus de 10 ans.

Je ne connaissais personne qui cultivait des légumes exotiques et je voulais les faire connaître à mes enfants

Hamidou Maïga

Arrivé dans la trentaine, avec une formation de comptable, il a décidé de réorienter sa carrière quand il a réalisé qu’il lui faudrait sept ans pour obtenir ses équivalences. Celui dont la famille était productrice de grandes cultures n’a fait ni une ni deux et est retourné à son idée de jeunesse de devenir agriculteur. 

La réponse à sa question sur la culture des légumes exotiques sous nos latitudes, il l’a obtenue en faisant des tests à l’ITAQ et en stage à la Pépinière Pouce-vert, spécialisée dans les plants rares, à Sainte-Julie.

De là, il n’a fallu qu’un pas pour qu’il décide de se lancer dans la production de plants, dans des serres louées dans le quartier Verdun à Montréal. S’est ajoutée ensuite la culture en champs, à Senneville, toujours sur l’île. Hamidou Horticulture vend aux restos et dans les marchés publics passera cette année de 2 000 à 10 000 pieds carrés de cultures, pour fournir les nouveaux paniers.


Jean-Philippe Vézina. Photo : Gracieuseté des Jardins Lakou

Le redécouvreur

Né en Haïti et adopté à l’âge d’un an par une famille québécoise, Jean-Philippe Vézina l’avoue sans ambages, cette greffe lui a posé des défis. « Ma vie adulte a été un long parcours de quête identitaire », raconte-t-il. Urbain pur jus, il a grandi dans le quartier multiethnique de Côte-des-Neiges à Montréal, avant de devenir musicien et animateur radio, puis, de diriger différents organismes communautaires. 

Ce n’est qu’il y a cinq ans qu’il a choisi l’agriculture, à la suite d’un voyage en Haïti. « J’y ai découvert le jardin traditionnel créole, appelé lakou », relate le propriétaire des Jadins Lakou. Décidé à s’en inspirer, il a notamment suivi une formation en agriculture biologique intensive. Il a obtenu une subvention d’un programme fédéral destiné aux entrepreneurs agricoles noirs, ce qui lui permettra de démarrer.

Il s’est installé à Dunham, en Estrie, sur un terrain loué de 3,5 acres (1,4 hectare) et il met ses cultures en marché grâce aux abonnements à des paniers. 

L’année 2024 en sera une de grande transition, puisqu’il se cherche un espace plus grand. Il reluque une terre de plus de 80 acres (32 hectares) en Montérégie, dans le but de fournir les paniers afro-caribéens du Mouvement pour la souveraineté alimentaire des Afro-Québécois.es ainsi que les restaurants et les institutions.

Je veux être pleinement maître de mon site et des infrastructures à y installer

Jean-Philippe Vézina

Edem Amegbo. Photo : Martin Ménard/Archives TCN

L’enthousiaste contagieux

Originaire du Togo, Edem Amegbo est devenu maraîcher, il y a dix ans, délaissant sa carrière d’ingénieur informatique. « Je voulais suivre ma passion, l’agriculture », explique celui qui est pourtant né de parents universitaires et a grandi en ville.

Il a opté pour la culture bio intensive, et s’est installé sur un lopin loué de 4 acres (1,6 hectare), dont il cultivait à l’époque un seul acre. « Je faisais de tout et j’ai commencé à faire pousser un peu d’okra pour mes proches. C’était plus pour le défi », dit le propriétaire du Jardin d’Edem, à East Farnham, en Estrie.  

Il vend l’essentiel de ses produits dans des marchés de la région et à Montréal. « Au début, je laissais les légumes exotiques en dessous de la table et les sortais quand j’avais des clients afrodescendants. Mais les Québécois me demandaient : ‘‘Hey, c’est quoi, ça?’’ Alors, j’en ai fait de plus en plus. J’en suis à 35 % et je veux augmenter. C’est logique, c’est proche de moi et j’aime ça, les faire découvrir aux Québécois. Je veux aussi travailler avec des chefs pour proposer des recettes faciles. »

Depuis deux ans, il organise aussi à sa ferme le festival Osez Afrik, lors duquel la population est invitée à découvrir toutes ces saveurs.

Avoir accès à ces légumes, pour les immigrants, c’est comme de voyager dans leur pays. C’est faire le plein de souvenirs.

Edem Amegbo

Paterne Mirindi. Photo : Gracieuseté de GVDRD Nord-Sud

Le transformateur social 

À son arrivée de la République démocratique du Congo, avec femme et enfant, Paterne Mirindi a été mis sur un autobus qui l’a mené en pleine nuit à Trois-Rivières. « Je n’avais jamais entendu parler de la ville », raconte-t-il. 

Qu’à cela ne tienne, l’homme alors âgé de 35 ans, un universitaire spécialisé en ruralité, s’est retroussé les manches. « Ma femme et moi, on est allés travailler dans les champs, à récolter des fraises et des concombres », souligne le producteur, qui a par la suite effectué un retour aux études en entreprenant une maîtrise en développement rural. Diplôme en poche, il a lancé l’organisme Groupement volontaire pour le développement rural nord-sud (GVDRD Nord-Sud), qui œuvre en éducation alimentaire et cultive des légumes afrocaribéens. Cela fait maintenant 10 ans que GVDRD s’est installé sur un terrain loué de deux hectares à Louiseville.

Maintenant, on a des points de chute en Mauricie, dans le Centre-du-Québec, à Montréal et à Québec. On nourrit 2 000 familles surtout afrodescendantes. Les Québécois, ça s’en vient tranquillement

Paterne Mirindi

Grâce à l’apport de bénévoles sur les terres, il peut vendre ses produits à coût raisonnable et envoyer une partie des revenus au Congo. « On aide les gens de là-bas en nourrissant les gens d’ici », ajoute celui qui fait notamment découvrir les saveurs ­afro-caribéennes durant le Festival de la galette de sarrasin, à Louiseville.

Paterne Mirindi ne manque pas d’ambition. « On veut transformer les légumes pour pouvoir les offrir à l’année, dit-il. L’avantage de les cultiver ici, c’est qu’on sait dans quelles conditions ç’a poussé. »