Maraîchers 6 mai 2024

Quatre producteurs lancent un mouvement afro-agricole

Cet été, les familles montréalaises auront accès à un abonnement bien particulier, soit des paniers contenant exclusivement des légumes africains et caribéens qui auront poussé au Québec. Bonjour okras, corète potagère, épinards du Congo, amarante et tutti quanti.

Derrière cette initiative : quatre agriculteurs venus du Togo, du Niger, de la République démocratique du Congo et d’Haïti, qui se sont installés en Mauricie, en Estrie et à Montréal. Ils ont choisi l’agriculture comme second métier et font le pari de cultiver le sol de leur terre d’accueil, y mélangeant les légumes d’ici et d’ailleurs. 

En affaires pour la plupart depuis une dizaine d’années, ces producteurs ont décidé de créer, en 2023, l’organisme Mouvement pour la souveraineté alimentaire des Afro-Québécois.es. « Nous avions commencé à collaborer en 2020, explique Hamidou Maïga, d’Hamidou Horticulture. En rencontrant ensuite d’autres acteurs noirs œuvrant en alimentation (nutritionnistes, distributeurs, agronomes, restaurateurs…), nous avons pensé qu’il serait judicieux de créer une structure à but non lucratif pour coordonner nos efforts pour mieux répondre à la demande en aliments recherchés par les populations afrodescendantes du Québec. » Pour Jean-Philippe Vézina, propriétaire des Jardins Lakou, l’idée est également de se solidariser.

L’idée des paniers maraîchers exotiques a germé quand Hamidou Maïga a commencé à enseigner la culture de ces aliments à l’Université Concordia, il y a trois ans. Photo : Gracieuseté d’Hamidou Horticulture
L’idée des paniers maraîchers exotiques a germé quand Hamidou Maïga a commencé à enseigner la culture de ces aliments à l’Université Concordia, il y a trois ans. Photo : Gracieuseté d’Hamidou Horticulture

En tant qu’agriculteurs afrodescendants, on est peu nombreux, et on veut pouvoir mutualiser les ressources en plus de partager et développer notre expertise.

Jean-Philippe Vézina

Une première expérience commune de recherche de variétés optimales d’aubergines exotiques et d’okras a été menée l’été dernier. « On voulait démontrer qu’il est possible de produire ces variétés ici, prouver l’intérêt du public pour des légumes africains cultivés au Québec et faire des dégustations pour valider les variétés les plus appréciées par les consommateurs », raconte Hamidou Maïga.

Cet été, l’organisation prendra vraiment son envol avec le service d’abonnement aux paniers maraîchers, qui commencera en juillet. L’organisme aura également son propre kiosque de légumes exotiques au marché Jean-Talon. « On cible la clientèle ­afro-québécoise avec les paniers et la clientèle générale au marché », explique M. Vézina.

Une contribution sociale

Au-delà du partage en matière de recherche et de mise en marché, les membres fondateurs du mouvement ont voulu ajouter une dimension sociale à leur projet. « Les afrodescendants ont de grands enjeux alimentaires, explique Jean-Philippe Vézina. D’après une étude récente, 46,3 % des enfants noirs vivaient dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire. Ce sont les plus touchés par cet enjeu, après les Premières Nations. »

En réponse aux déserts alimentaires

Il mentionne que le statut socio-économique y est pour beaucoup. « Plusieurs habitent dans des déserts alimentaires où l’accès aux aliments frais est limité et où la nourriture disponible, c’est des chips et de la bouffe en canne. » Il pointe aussi la réalité de l’immigration et l’éducation. « Les gens qui arrivent ici ne retrouvent pas les aliments qu’ils connaissent bien et ne savent pas cuisiner les légumes d’ici. »

En plus d’apporter cette nourriture à eux grâce aux paniers, le mouvement a décidé de s’allier la nutritionniste Bénédicte Alla-Ndoul, d’Aliments d’ici Saveurs d’ailleurs. « Cet organisme offre des ateliers culinaires pour les nouveaux arrivants, développe les connaissances et favorise les échanges culturels », explique Jean-Philippe Vézina.

Il ajoute que le mouvement a des visées encore plus larges pour le futur. « On veut contribuer à la prospérité des entreprises de propriété afro-québécoise de la filière agroalimentaire et ainsi aider à l’avancement socio-économique de la communauté. »

Une popularité grandissante

Difficile d’évaluer la dimension globale du marché que représentent les afrodescendants au Québec. Selon Statistique Canada, si l’on inclut les gens provenant des Caraïbes francophones et anglophones, de même que les immigrants et descendants africains, la population oscille entre 507 000 et 716 000, selon la méthode de calcul. Et la popularité des légumes exotiques est à l’avenant. « On ne suffit plus à la demande », explique Paterne Mirindi, producteur agricole de Louiseville, en Mauricie. On commence à influencer des gens. Je connais même un producteur en grandes cultures en Montérégie qui a tout délaissé pour se lancer là-dedans. »

Les producteurs maraîchers de la filière afro-agricole cultivent tous un mélange de légumes répandus au Québec et de légumes afro-caribéens, comme les okras, les aubergines africaines, l’amarante ou la courgette antillaise.

Les producteurs maraîchers de la filière afro-agricole cultivent tous un mélange de légumes répandus au Québec et de légumes afro-caribéens, comme les okras, les aubergines africaines, l’amarante ou la courgette antillaise.

Des paniers de légumes exotiques

L’idée des paniers maraîchers exotiques a germé quand Hamidou Maïga a commencé à enseigner la culture de ces aliments à l’Université Concordia, il y a trois ans. La production des étudiants était vendue au marché public de l’université. Un camion fera la tournée des quatre fermes fondatrices, cet été, pour ensuite s’arrêter à un site d’assemblage des paniers. Ceux-ci seront réacheminés dans des points de chute, chez des organismes montréalais partenaires. Le site d’inscription msaaq.org sera en ligne d’ici le début juin. « Avoir accès à ces légumes, pour les immigrants, c’est comme de voyager dans leur pays. C’est faire le plein de souvenirs, explique Edem Amegbo, du Jardin d’Edem. C’est très émotif. Mes clients me parlent des recettes de leur grand-mère… Ils veulent aussi faire découvrir ces aliments à leurs enfants, qui, oui, connaissent la poutine et le pâté chinois. Mais les parents veulent aussi faire connaître leur culture d’origine. »

 

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