Maraîchers 2 février 2024

Le système breton d’offre collective examiné par des maraîchers du Québec

En Bretagne, les maraîchers mettent en marché collectivement plus de 145 types de fruits et légumes, soit 85 % de tout ce qui est cultivé dans cette région de la France. Une structure très élaborée leur permet, par exemple, d’établir eux-mêmes des prix de vente plancher pour chaque produit et d’appliquer une gestion serrée de l’ensemble des volumes récoltés quotidiennement. Ils limitent ainsi les risques de suroffre par rapport à la demande et les chutes de prix radicales.

Marc Keranguéven

Ce sont en fait 1 300 fermes bretonnes qui s’unissent pour mettre en commun leur offre de fruits et légumes par l’entremise du Cerafel, une association de coopératives créée en 1965. « L’idée était de rassembler tout le monde pour essayer d’avoir une même vision des choses sur la défense du revenu du producteur », a affirmé le président du Cerafel, Marc Keranguéven, lors d’une présentation, en visioconférence, devant les maraîchers du Québec, réunis en assemblée générale annuelle. « Pour chaque produit […], c’est un groupe de producteurs qui définit un cahier des charges dans lequel on va retrouver, par exemple, les variétés, les normes et un prix en dessous duquel on refuse les ventes », a précisé celui qui est lui-même producteur à Lannilis.

Dans la salle, à la mi-novembre, bon nombre de maraîchers québécois, qui conjuguent chaque année avec des prix instables et un pouvoir de négociation limité par rapport aux acheteurs, ont semblé captivés par la présentation du producteur breton. Ç’a été le cas de Geneviève Guinois-Côté, productrice à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie. « Est-ce que c’est vraiment ça, la solution pour le Québec, se collectiviser? Je ne sais pas, mais ce sont des discussions qu’on doit avoir. Il faut que quelque chose change dans notre mise en marché », signifie, en entrevue, la copropriétaire de la Ferme maraîchère A. Guinois et Fils.

Un producteur de Saint-Lin–Laurentides, dans Lanaudière, Guillaume Henri, est du même avis.

Ce que je déplore, c’est qu’on soit fragmentés. Dans la betterave, on est une vingtaine de producteurs. Je pense que de faire front commun serait bénéfique pour nous

Guillaume Henri
Geneviève Guinois-Côté estime qu’un changement s’impose dans la mise en marché des légumes québécois. Photo : Ferme maraîchère A. Guinois et Fils

Des ventes aux enchères quotidiennes

Tous les jours, en Bretagne, des fruits et légumes frais récoltés la veille sont vendus en lots, au moyen d’un système d’enchères dégressives. Les prix de départ sont établis selon la loi de l’offre et de la demande, mais ne peuvent descendre en dessous des prix plancher déterminés par les producteurs. Lorsqu’on observe que l’offre surpasse la demande, des fruits et légumes sont envoyés en transformation à prix moindre pour « soulager le marché » du frais. En parallèle au système d’enchères quotidiennes, des volumes sont aussi réservés à des clients sur une base hebdomadaire ou annuelle, par exemple sous forme de contrats.  

En Bretagne, une structure est en place pour que la région développe ses propres variétés de choux-fleurs, d’artichauts et d’échalotes adaptées au climat local. Photo : L’œil de Paco/Prince de Bretagne

En Bretagne, une structure est en place pour que la région développe ses propres variétés de choux-fleurs, d’artichauts et d’échalotes adaptées au climat local. Photo : L’œil de Paco/Prince de Bretagne

La crise des artichauts

Au tournant des années 60, les producteurs bretons se sont frottés à des défis semblables à ceux des producteurs de lait canadiens avant d’envisager de collectiviser leur offre. Après plusieurs années de surproduction d’artichauts, d’autres légumes qui ne trouvaient pas preneurs et de prix tirés vers le bas, un petit groupe de maraîchers en a eu assez et a eu l’idée de se regrouper pour améliorer son pouvoir de négociation avec les acheteurs. De fil en aiguille, l’idée a rassemblé un nombre grandissant d’adhérents, ce qui a mené à la mise en place du système actuel, qui regroupe 85 % de la production bretonne.

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Une centaine de variétés de choux-fleurs en Bretagne

En Bretagne, une structure est en place pour que la région développe ses propres variétés de choux-fleurs, d’artichauts et d’échalotes adaptées au climat local. Aujourd’hui, plus de cent variétés différentes de choux-fleurs sont produites là-bas. « Moi, c’est vraiment ça qui m’a interpellée », réagit Geneviève Guinois-Côté, productrice à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie. « On sent que les producteurs là-bas sont respectés dans leur fonctionnement, qu’ils reçoivent ce dont ils ont besoin pour avancer, pour innover. Ils font leurs semences pour leur climat. » Selon elle, la création récente d’une chambre de coordination dans le maraîcher au Québec et la volonté des producteurs de cotiser pour la recherche est certainement une nouvelle forme de collaboration qui sera bénéfique pour le secteur.

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Des données communes sur l’état du marché

Selon le directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ), Patrice Léger-Bourgoin, la mise en place d’une base d’informations commune sur les récoltes qui permettrait une analyse générale de l’offre et de la demande, comme le font les Bretons, est certainement une avenue à envisager pour guider les producteurs québécois vers de meilleures décisions d’affaires. « La base pour en arriver à la solution, c’est l’intelligence d’affaires. Chacun a ses données, mais il n’y a pas d’endroit où consolider ces données et analyser comment le marché se comporte », fait-il remarquer. L’organisation en est actuellement à tester la faisabilité au Québec d’une telle initiative à grande échelle.