Grandes cultures 14 février 2024

La qualité des céréales préoccupe 

Les récoltes problématiques de 2023 continuent d’affecter tous les secteurs de l’industrie. Faibles rendements au champ, fusariose, vomitoxine et erreurs d’entreposage ajoutent aux défis d’un contexte compliqué. 

Pour préserver la qualité de son grain, Rudy Laixhay misait sur une stratégie de récolte hâtive. « Le mot d’ordre était de faire des récoltes à 18-20 % d’humidité pour garantir une belle qualité panifiable », raconte le cofondateur du Moulin de Charlevoix, une entreprise franco-québécoise qui transforme sur meule de pierre du grain produit localement. « Après le 26 juillet, on a dû jouer à l’équilibriste pour sortir le produit du champ. La fenêtre d’opportunité était parfois l’affaire de quelques heures », avoue l’entrepreneur.

Tableau à l’équilibre du maïs-grain à 14,5 %. Tableau : Gracieuseté de Nicolas St-Pierre, Collège d’Alma

Récoltes déclassées

Si le blé d’automne s’en tire à meilleur compte dans certains secteurs, le constat général s’avère navrant. « Dans le blé de printemps, les grains sont germés ou malades, avec des taux de maladie à 3,0, 4,0, et parfois même 10,0 ppm (DON) », témoigne M. Laixhay, qui illustre les enjeux auxquels les producteurs sont confrontés. « Pour tout ce qui pouvait se classer pour la panification, nous avions une belle appréciation du prix du grain conventionnel panifiable par rapport au blé animal », déclare M. Laixhay.
« Mais avec une différence d’à peu près 80 $/tonne ($/t) entre le blé animal et le blé humain, le producteur [déclassé au blé animal] vient de perdre 80 $/t sur le marché. Ensuite, on lui dit que son grain ne peut pas être acheté pour l’animal en raison d’un niveau de toxines trop élevé. Un grain qui valait autour de 420 $/t pour la panification est tombé à 340 $/t pour l’animal et à 150 $/t pour le bovin », résume-t-il, ajoutant qu’il fallait aussi composer avec les frais de séchage.

Dans le blé de printemps, les grains sont germés ou malades, avec des taux de maladie à 3,0, 4,0, et parfois même 10,0 ppm (DON), confirme Rudy Laixhay. Photo : Gracieuseté de Rudy Laixhay

Des erreurs d’entreposage?

En règle générale, un taux d’humidité élevé, combiné à des structures d’entreposage qui ne permettent pas une ventilation suffisante, augmentent le risque de moisissures et la détérioration du grain. Mais selon Nicolas St-Pierre, M. Sc. et agronome enseignant au Collège d’Alma, la forte présence de toxines cette année nécessite une vigilance accrue tout au long du processus de conditionnement (séchage et refroidissement). 

Selon Nicolas St-Pierre, agronome enseignant au Collège d’Alma, le contrôle des maladies à l’entreposage s’applique à différentes étapes.  Photo : Gracieuseté de Nicolas St-Pierre

« Dans le cas du maïs, cette situation n’est pas à prendre à la légère. Le grain contaminé par la toxine du fusarium oblige à intervenir rapidement et efficacement dès le début si l’on ne veut pas voir partir en vrille la qualité de ses récoltes. Comme l’humidité est élevée et que la température tend à augmenter, un séjour prolongé (plus de 24 heures) dans le silo d’attente aura comme impact d’augmenter le taux de toxines. Malheureusement, comme les chaleurs utilisées lors du processus de séchage ne peuvent détruire la toxine, celle-ci restera dans le grain », explique M. St-Pierre. 

Courbe du blé. Photo : Gracieuseté de Nicolas St-Pierre

Par la suite, le grain doit être suffisamment refroidi avant l’entreposage final. « Si le grain est encore chaud, il se produira une augmentation de l’activité respiratoire du grain qui se traduira par une production d’eau. Le grain pourra alors se réhumidifier, ce qui laisse place encore à une augmentation possible du taux de toxines. Le contrôle des maladies à l’entreposage s’applique donc à différentes étapes », souligne-t-il.

Adapter les procédés

Malgré les conditions extrêmes de 2023, l’approche du Moulin de Charlevoix a généré des résultats concluants, et Rudy Laixhay demeure optimiste. « Dans une année extrêmement compliquée, on arrive à démontrer qu’on peut obtenir le grain qu’il nous faut. Les agriculteurs qui ont travaillé avec des rotations bien faites et des sols en santé, et qui ont saisi les minces opportunités de récolte, ont été beaucoup moins impactés », note l’entrepreneur. « Les producteurs qui ont été formés sur des méthodologies différenciantes vont savoir réagir quand ces circonstances-là vont se reproduire », conclut-il.

La faible quantité de céréales répondant aux normes de consommation humaine sur le marché pourrait entraîner une hausse des prix offerts, notamment pour l’orge et le blé.

La faible quantité de céréales répondant aux normes de consommation humaine sur le marché pourrait entraîner une hausse des prix offerts, notamment pour l’orge et le blé.

Des volumes fluctuants

Sur un épi d’environ 36 grains, on estime qu’entre 18 et 20 grains ont été attaqués par les toxines à des taux atteignant parfois 9,0-10,0 ppm (DON). Le faible rendement au champ et le niveau élevé des grains germés ou malades, résultant en des pertes additionnelles de 30 à 40 % au criblage, expliquent les petits volumes constatés cette année. La faible quantité de céréales répondant aux normes de consommation humaine (≤ 2,0 ppm (DON)) sur le marché pourrait ainsi entraîner une hausse des prix offerts pour l’avoine, l’orge et le blé. Selon des données recensées en 20221, la production totale de grains du Québec se chiffre à environ 5,38 millions de tonnes pour une superficie de 1,67 million d’hectares.