Alimentation 27 février 2024

Des hubs émergent pour faciliter la mise en marché régionale

« C’est le morceau de casse-tête qui manquait dans le système », dit Monique Talissé, copropriétaire des Jardins Talissé à Sainte-Marguerite, en Montérégie. À l’automne 2023, la productrice maraîchère a participé, avec cinq autres fermes, à un projet pilote de hub alimentaire dans la MRC de Roussillon. « Ça nous a aidés à vendre nos surplus. Autrement, on perdait beaucoup. On est des producteurs, on n’a pas le temps d’appeler [des clients] et de livrer partout », dit la propriétaire d’un verger maraîcher de 13 hectares, qui vend généralement ses produits à son kiosque fermier. 

Le système était simple : il lui suffisait d’indiquer à une plateforme de mise en marché quels aliments elle souhaitait destiner à la vente aux organisations publiques et privées de sa région. Un camion dépêché par la MRC était ensuite chargé de faire une tournée des agriculteurs du secteur pour ensuite livrer les produits aux clients qui les avaient commandés via cette même plateforme. 

Les sites de mise en marché sont l’un des nombreux services que l’on retrouve au sein des pôles logistiques régionaux en alimentation, souvent appelés hubs. De plus en plus populaires – 46 % des 50 qui sont dénombrés au Québec ont vu le jour il y a moins de cinq ans – les hubs créés ces derniers temps tablent sur la vente de produits locaux aux organisations, privées comme publiques. 

Frédéric Paré

Cette croissance a été favorisée par l’adoption de la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois, en 2020. L’actuelle révision des plans de développement de la zone agricole (PDZA) par les différentes MRC, a aussi aidé à cette progression. « Les hubs nous permettent de mettre en œuvre les PDZA », dit Frédéric Paré, conseiller au développement agroalimentaire de la MRC de Roussillon. Pour sa part, Patrick Mundler, professeur en développement rural au Département d’économie agroalimentaire de l’Université Laval, estime que les hubs permettent aux agriculteurs d’atteindre des marchés qui n’étaient pas accessibles auparavant. Ils offrent également la possibilité d’écouler sur le marché des stocks de catégorie B, qui seront transformés et qui n’auraient pas trouvé preneurs autrement.

Grâce au système Arrivage, au lieu d’être laissés aux champs, les aliments de catégorie B peuvent trouver preneurs auprès d’organisations qui les transformeront. Photo : Gracieuseté d’Arrivage

L’actuelle précarité financière des agriculteurs est un autre facteur ayant contribué à cette effervescence. Ramzy Kassouf, des Jardins Carya, fait partie des quatre agriculteurs de l’ouest de l’île de Montréal qui ont lancé l’organisme sans but lucratif L’aube, pôle nourricier, précurseur dans les hubs au Québec. « Je suis agriculteur depuis 15 ans. On a tout essayé, et pour moi, c’est le modèle idéal, rapporte-t-il. Le fait de mutualiser réduit les coûts des ressources, et les marges restent dans les poches des agriculteurs au lieu d’aller dans la chaîne de distribution. »

Dépendance aux subventions

Élodie Morandi

Le hic, c’est que les projets actuels, au stade de pilotes, sont développés grâce à des subventions. Le défi des prochaines années sera de trouver une manière d’en assurer la pérennité.  En 2022, le Conseil régional de l’environnement de Laval (CRE) a déployé un hub pilote avec la plateforme Web Arrivage. Mais il n’a pas pu être reconduit en 2023, faute de financement. « Ce fut une réussite, et [le programme] est redemandé par les acheteurs et les producteurs », dit Elodie Morandini, directrice générale du CRE de Laval, qui cherche une manière de pouvoir le renouveler, et même l’élargir.

À ce sujet, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) se dit en train d’évaluer la manière de soutenir de tels projets.  À L’aube, on explore aussi différentes avenues de financement, notamment les services aux entreprises privées. 

Pour Frédéric Paré, de la MRC de Roussillon, les hubs permettent de forger de nouveaux liens. « Il faut créer une relation de confiance entre des gens qui ne se connaissaient pas. Ça se bâtit une ferme à la fois », dit celui qui se dit bien conscient que l’importation et les grands distributeurs continueront d’exister. « On ne vit pas sur un nuage. [Mais avec les hubs], on est à l’envers de la logique avec laquelle on s’est développés depuis les années 50-60. Notre objectif est de s’humaniser, de se solidariser et de se territorialiser. »  

Le Collectif récolte a organisé une journée de renforcement des pôles logistiques agroalimentaires, le 13 février, où les différents acteurs du milieu étaient conviés à des ateliers et présentations. Photo : Sophie Lachapelle

Une masse critique nécessaire

Le déploiement à plus large échelle fait partie, selon plusieurs, des éléments clés du succès des hubs alimentaires. « Ça prend une masse critique [de ventes] pour pouvoir se professionnaliser et répartir les frais », estime le producteur Ramzy Kassouf. 

Mais pour que cela fonctionne, les agriculteurs devront faire évoluer leurs productions. « On ne peut pas juste vendre ses surplus. Pour subvenir aux besoins des organisations, il faut garantir des quantités », souligne le professeur Patrick Mundler. Ramzy Kassouf souligne qu’il y a aussi l’enjeu inverse, c’est-à-dire que les agriculteurs doivent sentir qu’on peut écouler leurs stocks.

Ramzy Kassouf
Ramzy Kassouf