Innovation 11 janvier 2024

Quand innover est une nécessité

Pénurie de main-d’œuvre, soubresauts climatiques et impératifs d’un marché toujours plus exigeant… En production maraîchère, la question n’est pas de savoir s’il faut optimiser ses méthodes, mais de quelle façon. Deux entreprises d’ici proposent des concepts pour en faire plus et mieux, aujourd’hui et demain.

La mécanisation : des prodiges à l’échelle 

Des défis de terrain, Jean-François Fontaine, gérant de territoire chez Univerco, en voit de toutes sortes. Fondée en 1978, l’entreprise se spécialise dans la conception de machinerie horticole pour le secteur maraîcher. « Notre priorité est d’adapter la mécanisation aux besoins du producteur. Lorsqu’un producteur a un problème, je peux lui proposer une pièce ou une façon de concevoir quelque chose qui va résoudre, améliorer ou optimiser sa situation rapidement », explique-t-il.

Jean-François Fontaine  / gérant de territoire chez Univerco

De passage aux Journées horticoles et grandes cultures, M. Fontaine a présenté l’évolution technologique des sarcloirs et récolteuses de l’entreprise, et un échantillon de solutions ciblées. « Un client nous a demandé de l’aide pour réemballer des fruits et légumes. Ils étaient disposés sur de petites tables et ce n’était pas très productif », raconte le représentant. « Avec nos ingénieurs et le producteur, on a développé un projet de ligne de traitement et d’emballage pour pourvoir plusieurs postes. Cette machine lui permettra de doubler, voire tripler sa productivité avec le même nombre d’employés ou moins », affirme M. Fontaine. Il cite cette capacité de s’adapter au contexte du producteur comme l’une des forces de l’entreprise. « Par exemple, on a conçu un système de fourche à palette hydraulique pour un petit producteur de carottes. De son tracteur, l’opérateur peut récupérer une caisse vide, la remplir, la décharger, puis répéter le procédé. Cela lui permet d’être complètement autonome au champ », illustre M. Fontaine, qui reconnaît que les besoins diffèrent selon le type et la taille de l’exploitation.

La récolteuse à carottes Mini-Veg permet quelques caisses par jour, tandis que la G3 va récolter entre 180 et 220 boîtes, et la G4, plus de 300 caisses de légumes.

Jean-François Fontaine, gérant de territoire chez Univerco

Dans cette optique d’efficacité terrain, l’entreprise s’est aussi penchée sur un concept impliquant l’Australie et des producteurs du Québec. « L’objectif était de cueillir le brocoli à différentes hauteurs assez rapidement, sans qu’une personne doive sauter à terre dans la boue pour couper les plants », précise-t-il. Cette machine sera commercialisée en 2024. Univerco devenait également l’automne dernier le distributeur canadien du pulvérisateur intelligent Ecorobotix. Cet arroseur équipé de jets aux 6 cm permet le traitement de précision des cultures en ligne, réduisant considérablement l’utilisation des pesticides.

Quelle que soit la culture ou la taille de l’entreprise, la possibilité d’en faire plus avec moins de main-d’œuvre reste l’enjeu le plus souvent soulevé par les producteurs. « Lorsqu’on conçoit une machine pour une petite exploitation, et qu’on y ajoute un outil qui remplace 10 employés, l’acquisition se rentabilise rapidement. On vise des solutions qui offrent un retour sur investissement rapide adapté aux besoins à court terme », conclut M. Fontaine. 

Vision et intelligence artificielle : l’avenir commence maintenant

Pendant qu’on imagine l’agriculture plus efficace et performante de demain, Patrick Gariépy y travaille déjà. « Notre vision, c’est de créer une richesse collective à travers l’automatisation. Notre mission, c’est d’automatiser aujourd’hui l’industrie de demain », explique l’ingénieur et vice-président technologie et innovation chez Génik. L’entreprise qui fabrique des solutions automatisées depuis 31 ans a élaboré sa propre méthodologie en résolution de problèmes. Axée sur une intelligence collective entre ses experts et ceux de la ferme, l’approche G-KDM cerne les enjeux et détermine les contraintes pour générer des solutions innovantes. « L’idée derrière G-KDM est d’identifier une problématique », résume l’entrepreneur, qui cite la pénurie de main-d’œuvre et la disponibilité de solutions efficaces comme des enjeux majeurs. « Nourrir la planète devient de plus en plus complexe. Les populations augmentent, il faut s’adapter aux changements climatiques et on doit améliorer l’efficacité des ressources », allègue M. Gariépy. Pour lui, la solution réside dans l’optimisation de la gestion agricole et de la productivité.

On veut en faire plus avec les mêmes champs, et on veut aussi améliorer la qualité des produits. La raison d’être de Génik est de rendre possibles vos visions.

Patrick Gariépy, ingénieur et vice-président technologie et innovation chez Génik
Pour l’ingénieur Patrick Gariépy, l’arrimage de la vision et de l’intelligence artificielle est indispensable. (Ici en compagnie d’Izmir Hernandez, du REIA, dans le cadre des Journées horticoles et grandes cultures.) Photo : Nathalie Laberge

Travailler avec du vivant

Partant de ce constat, le défi des prochaines années résidera dans l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) en robotique agricole, notamment dans le contrôle des objets. « Les outils existent déjà : on en fabrique depuis 30 ans. Mais qui va dire aux outils quoi faire? » vulgarise l’entrepreneur, pour qui l’arrimage de la vision et de l’IA est indispensable. « En agriculture, on sème, on sarcle, on désherbe, on récolte et on traite. Le défi de la robotique agricole est de travailler avec du vivant, donc des éléments qui n’ont pas toujours une même forme prédéterminée. Pour arriver à une vision en intelligence artificielle, il faut enseigner à la machine à travailler avec un objet qui grandit de jour en jour », soutient M. Gariépy, évoquant la complexité de créer des milliers d’algorithmes de reconnaissance capables d’identifier des composantes en perpétuelle évolution. « On veut d’abord reconnaître l’objet dans son stade de croissance, mais aussi pouvoir se situer dans l’espace », précise-t-il. Avec cet objectif dans la mire, Génik a élaboré une plateforme de développement dont la fonction consiste à ­établir un protocole de communication entre le véhicule et ses outils de précision. « En désherbage, on doit travailler “vert sur vert”. La plante qu’on vise a grossi, mais toutes les autres autour aussi. Le défi en vision est d’identifier la bonne plante et d’enlever les autres », relate-t-il. Pour cet expert en automatisation, les attentes de l’industrie, qui requièrent d’accomplir avec un seul bras robot des tâches qui nécessitent deux bras humains, amplifient l’enjeu. « Pour la cueillette, le robot doit saisir un objet qui change de forme et de place. On ne peut y arriver qu’en combinant la vision à l’IA », ­soutient-il. En alliant l’imagerie 3D à l’intelligence artificielle, l’entreprise a développé trois technologies de ­robotisation pour le secteur maraîcher, soit le déchargement de caisses (bin picking), la localisation à la volée (pick in motion) et le chargement de caisses (case packing). Outre la réduction de main-d’œuvre nécessaire à l’accomplissement des tâches, ces solutions permettent la manutention d’aliments de différentes formes, couleurs, grandeurs et textures.