Innovation 30 mars 2023

Après 35 ans de labeur, il crée une nouvelle variété d’oignon

« Travail de moine » est l’expression qui qualifie sans doute le mieux les efforts de sélection du semencier Yves Gagnon qui, depuis la fin des années 1980, est parvenu à développer une nouvelle variété d’oignon à pollinisation libre.
Son petit nom : la Rouge de Saint-Didace.

Sélectionnée avec soin à partir de la variété Red Man, la Rouge de Saint-Didace est produite aux Jardins du Grand-Portage dans la vallée de la rivière Maskinongé (zone 4b). Ce gros oignon à chair ferme se prête aussi bien à la cuisson qu’à une consommation crue dans une salade. 

Des soins méticuleux

Le semencier Yves Gagnon se fait une fierté de ne travailler qu’avec des variétés à pollinisation libre.

« J’ai cultivé la Red Man dès 1988, car je l’appréciais pour son goût, sa taille et sa qualité de conservation », raconte Yves Gagnon. Mais pour arriver à en améliorer les caractéristiques et l’adapter aux conditions nordiques, il a dû s’armer de patience. Puisqu’il s’agit d’une espèce bisannuelle, les graines ne se récoltent qu’à la seconde année de croissance.

Des 800 à 1 000 oignons qu’il produisait la première année de chaque génération, il les sélectionnait selon leurs propriétés de conservation et leur résistance à la brûlure de la feuille, une maladie très courante causée par un champignon. À la fin, il ne conservait que 100 bulbes. 

Une fois que les graines se formaient la seconde année, les ombelles étaient coupées, puis entreposées dans une pièce de séchage pour une durée de 2 à 3 semaines, jusqu’à ce qu’on obtienne un mélange de semences et de résidus végétaux. Venait ensuite l’étape du calage, qui consiste à déverser le tout dans un contenant rempli d’eau. « Les bonnes graines tombent au fond, tandis que le reste flotte. On récupère les semences dans un tamis, puis on les sèche pendant 12 heures », détaille-t-il. 

Une personnalité unique

C’est ainsi que d’une génération à l’autre, Yves Gagnon a pu orienter doucement la sélection de la variété Red Man vers les traits qu’il recherchait pour en arriver à un résultat satisfaisant en 2021. « Au niveau de la génétique, [la Rouge de Saint-Didace] est sensiblement la même que la Red Man, mais sa personnalité s’est adaptée à notre climat nordique, dans des conditions différentes de celles où a été créée la Red Man », explique-t-il. Ses efforts de sélection ont aussi permis de prolonger la capacité de conservation jusqu’à 8 mois et de lui conférer une meilleure résistance à la brûlure de la feuille.

Entre-temps, la semence de Red Man a disparu du marché. Puisque la lignée qu’il a sélectionnée a développé sa propre personnalité, le semencier a jugé bon de lui donner une nouvelle appellation. « Le nom Red Man me déplaisait parce que c’était en anglais et parce qu’il avait une connotation méprisante pour les Premières nations. J’ai donc baptisé cet oignon en ­l’honneur de mon village d’adoption : Saint-Didace. »

Pour l’instant, les Jardins du Grand-Portage sont la seule ferme où sont produites les semences de l’oignon rouge de Saint-Didace.

Pour l’instant, les Semences du Grand Portage – l’entreprise gérée par sa fille Catherine – est la seule à commercialiser cette variété. La dernière saison ayant été mauvaise en raison de la météo, les semences de l’oignon rouge de Saint-Didace ont déjà trouvé preneur pour 2023. Il faudra donc prendre son mal en patience jusqu’en janvier 2024 pour espérer la cultiver dans son jardin. 

Préserver le patrimoine génétique

Arrivé dans le village de Saint-Didace en 1980 avec sa femme Diane Mackay, Yves Gagnon s’est rapidement impliqué pour la cause de l’agriculture maraîchère biologique, notamment en ­fondant l’une des premières fermes dotées d’une certification ­biologique au ­Québec.  

La rencontre en 1985 avec Armand Savignac, clerc de Saint-­Viateur et considéré comme l’instigateur de l’agriculture écologique chez nous, a été déterminante. « Un jour, il m’a donné 200 plants de tomates Dufresne, variété qu’il avait améliorée depuis des décennies. J’étais impressionné par leur qualité, raconte-t-il. J’ai commencé à les cultiver chez moi, mais j’étais un peu déçu du ­rendement, car notre climat était différent. Donc j’ai cherché à changer cette lignée pour qu’elle soit plus précoce. J’ai alors découvert le potentiel de la sélection orientée. »

Au décès du frère Savignac en 1994, Yves Gagnon a baptisé sa première lignée de tomates en son honneur. Aujourd’hui, la tomate Savignac est cultivée par une multitude de jardiniers au Québec. 

L’homme croit fermement en l’importance de préserver le patrimoine génétique de notre territoire. En plus d’avoir développé d’autres variétés potagères comme le poivron rouge Maskinongé et la tomate noire du ­Portage, sa ferme produit les semences du melon d’Oka, une variété patrimoniale créée vers 1910. 

« Je mène présentement des travaux sur le céleri-rave, mais c’est également une plante bisannuelle, donc complexe à sélectionner. Je ne pense pas nommer une nouvelle variété de mon vivant, confie le semencier de 69 ans, mais l’important est de contribuer à quelque chose qui nous dépasse. »