Formation 24 mai 2024

Une crise qui a un effet jusque sur les bancs d’école

La crise qui touche le milieu agricole a un effet jusque sur les bancs d’école, où certaines formations, en production porcine notamment, ont vu leurs inscriptions décroître au point de n’avoir aucun élève cette année. D’autres établissements continuent toutefois d’accueillir un nombre stable d’étudiants passionnés qui gardent espoir en l’avenir, même s’ils sont conscients des défis qu’ils auront à affronter.

C’est la première fois en 30 ans de carrière que l’enseignant Gilles Laverdière n’a aucun élève dans sa classe de formation professionnelle en production porcine. En fait, il y en a eu deux, mais ceux-ci ont opté pour la formation en ligne. Les deux étudiants inscrits en présentiel ont abandonné au cours des deux premières semaines de l’année 2023-2024. 

Celui qui enseigne au Centre de formation agricole de Saint-Anselme, dans Chaudière-Appalaches, attribue cette situation inédite – qu’il espère passagère – à la fermeture de l’abattoir d’Olymel de Vallée-Jonction et à la décroissance de la production porcine.

Dans un contexte favorable, naturellement, les inscriptions augmentent, et l’inverse est aussi vrai, comme c’est le cas présentement, pas seulement dans le porc, mais aussi dans plusieurs autres productions animales non contingentées, comme le bovin de boucherie et l’ovin, en raison de l’inflation, de la hausse des taux d’intérêt et des coûts de production.

Gilles Laverdière, enseignant
Gina Lamontagne

Ce contexte a le même effet du côté de l’École professionnelle de Saint-Hyacinthe, rapporte l’enseignante Gina Lamontagne, qui donne la formation en production porcine. « Depuis sept ans, il y a eu une décroissance des inscriptions dans cette production. C’était du jamais vu, et ce n’est jamais revenu. Ça fait des années que je n’ai pas [beaucoup d’étudiants] dans cette production. Cette année, j’en avais deux, mais ils ont lâché en cours de route », dit-elle.

Gilles Laverdière

Gilles Laverdière garde tout de même espoir, puisque déjà, quatre étudiants sont inscrits en présentiel pour l’an prochain. « J’espère qu’on a atteint le fond du baril cette année. Les années normales, 4 à 6 élèves, ça joue là-dedans. On n’a pas de boule de cristal, mais on souhaite que ça se stabilise », précise-t-il.

« Je me sens unique »

Du côté de la formation collégiale, Caroline Nadeau, responsable des communications à l’Institut des technologies agroalimentaires du Québec (ITAQ), indique que les cours spécifiques à la production porcine, offerts en option dans le cadre du programme de gestion et technologies d’entreprise agricole, ne sont jamais très populaires depuis quelques années, du côté tant du campus de Saint-Hyacinthe que de celui de La Pocatière. Toutefois, la production porcine demeure enseignée au même titre que toutes les autres productions aux étudiants inscrits à la technique en Technologies des productions animales (TPA), spécifie-t-elle.

Noémie Vachon souhaite prendre la relève de la ferme familiale, malgré la tempête que traverse actuellement l’industrie porcine québécoise. Elle est la seule étudiante sur les 300 du campus de La Pocatière à se spécialiser en production porcine. Photo : MAP photos

Noémie Vachon, qui étudie en 2e année au programme de gestion et technologies d’entreprise agricole à l’ITAQ, est la seule étudiante sur les 300 du campus de La Pocatière à se spécialiser en production porcine, alors qu’ils seraient quelques-uns de plus du côté du campus de Saint-Hyacinthe, rapporte-t-elle. « Pour les cours plus généraux, je suis avec les autres productions comme le veau et les ovins, mais pour les cours spécifiques à la production porcine, je suis seule avec le prof. Je me sens unique », lance-t-elle à la blague. 

La jeune femme de 19 ans, qui souhaite prendre la relève de la ferme porcine familiale située à Tring-Jonction, dans Chaudière-Appalaches, est consciente des enjeux que traverse l’industrie porcine, mais reste néanmoins positive face à l’avenir. « On est dans une période de restructuration, mais ça va aller mieux après. Et puis, je ne me voyais pas faire autre chose », confie-t-elle. Elle signale, à cet égard, que son père continue, malgré la crise, d’investir dans la ferme, sachant que ses enfants souhaitent poursuivre dans cette voie.

Patricia Poulin, productrice porcine à Sainte-Marie, dans la même région, a un fils qui termine aussi sa 2e année en production porcine à l’ITAQ, à la différence qu’il fréquente le campus de Saint-Hyacinthe. Bien qu’heureuse qu’un de ses enfants veuille prendre la relève de la ferme porcine familiale, elle avoue être très inquiète pour lui. « On ne sait pas comment ça va aller et je ne vois pas l’avenir rose là-dedans. On lui a d’ailleurs dit qu’on ne grossirait pas la ferme, mentionne-t-elle. On va quand même réussir à lui faire prendre la relève, mais ce ne sera pas facile. » Même si elle constate que son fils aime ce domaine et ne se voyait pas faire autre chose, la productrice laisse entendre qu’il n’est « peut-être pas conscient de tous les enjeux ».

Une formation qui est là pour rester

Le Centre de formation agricole de Saint-Anselme, dans Chaudière-Appalaches,  a développé à travers les années une expertise en enseignement de la production porcine, notamment parce que la région compte de nombreuses fermes de ce type et que la demande pour cette formation était grande, surtout entre les années 1990 et 2000, alors que le secteur était en croissance, se remémore l’enseignant Gilles Laverdière. Or, depuis le moratoire sur la production porcine imposé par le gouvernement en 2002, le nombre d’inscriptions a chuté et ne s’est jamais rétabli, signale-t-il.  Malgré tout, cette formation n’est pas menacée, estime l’enseignant, puisque le centre a adapté ses modes d’enseignement pour avoir plus de flexibilité par rapport aux fluctuations du nombre d’inscriptions d’une année à l’autre. Les formations sont par exemple offertes en ligne ou à la carte. « Si on était uniquement en formation magistrale, ça nous prendrait de 10 à 12 élèves pour former un groupe. On ne l’aurait jamais, fait-il remarquer. Quelles autres adaptations on devra faire dans le futur? Je ne le sais pas, mais il n’est pas question d’abandonner ça, pas du tout. On veut qu’un élève qui fait le choix de la production porcine puisse accéder à une formation de qualité. »