Volailles 4 juillet 2023

Pédale douce sur la production de pigeons de chair 

L’unique éleveur commercial de pigeons de chair au Québec, la Ferme Turlo, située à Saint-Gervais, dans Chaudière-Appalaches, doit mettre la pédale douce sur sa production. 

Nicolas Turcotte

Pourtant, la demande pour ce produit de niche de la part des restaurateurs et des boucheries spécialisées est bel et bien là, soutient Nicolas Turcotte, propriétaire de l’entreprise avec sa conjointe, Rhéa Loranger. « C’est surtout le coût des grains et l’inflation qui nous forcent à maintenir la production basse pour éviter de nous mettre à risque », explique-t-il. 

S’il n’y avait pas eu de pandémie, puis d’inflation par la suite, on roulerait à 10 000 pigeonneaux par année.

Nicolas Turcotte

En effet, l’alimentation représente 40 % du coût de production du pigeon de chair, qui a un taux de conversion très élevé, « soit de 7 pour 1, c’est-à-dire que ça prend 7 kilos de grains pour faire 1 kilo de viande. En comparaison, le taux de conversion dans le poulet est de 1,6 pour 1, ou dans le porc, à 3 pour 1 », illustre M. Turcotte. Ce qui a donc une forte incidence sur le prix de cette viande. 

Mais la ferme fait face à un second défi. La productivité de son troupeau reproducteur est en déclin. Or, les coûts d’importation d’un nouveau troupeau d’Europe, par où il est impératif de passer pour obtenir une bonne génétique, ont explosé. « Quand on commence à parler du prix du pigeonneau qu’il faudra remonter de 40 % pour rentabiliser un nouveau troupeau, c’est là qu’on voit que ça casse auprès de nos acheteurs. C’est pour ça qu’on a mis l’importation sur pause : le pari qu’on fait, c’est d’étirer l’élastique avec notre production actuelle pour attendre que l’inflation se stabilise », confie-t-il.

Une viande de luxe

La viande de pigeon se rapproche, par sa texture et sa couleur, de la viande d’autruche ou de canard. Du côté du goût, elle ressemble plutôt « à la perdrix sauvage, avec un petit arrière-goût de foie de veau », décrit l’éleveur Nicolas Turcotte. « À l’époque, les pigeons étaient utilisés pour livrer les messages. C’était un oiseau noble et il était interdit de le manger, sauf pour la royauté », poursuit l’éleveur. Aujourd’hui, c’est surtout le prix élevé, relié aux coûts de production, qui continue de placer cette viande dans les assiettes des restaurants de haute gastronomie.

L’élevage de la Ferme Turlo compte actuellement 100 couples reproducteurs, soit 200 oiseaux qui produisent environ 2 000 pigeonneaux par année. Mais les installations peuvent accueillir 800 couples. « On opère donc à environ 15 % de notre capacité de production : la bâtisse est là, les infrastructures sont là, la demande est là, mais l’investissement qu’il faut faire pour importer un nouveau troupeau, reprendre 100 % de notre marché et remplir les congélateurs pour bâtir un inventaire nous fragiliserait trop », résume l’éleveur. 

Il estime qu’il faudrait atteindre une production de 6 000 et 8 000 pigeonneaux par année pour que son élevage redevienne rentable. 

Rhéa Loranger avec un cabaret de pigeonneaux de son élevage. Photo : Gracieuseté de la Ferme Turlo

Coup de cœur pour le pigeon

Au début des années 2000, le Québec a déjà compté une dizaine d’éleveurs de pigeon de chair commercial. « C’était comme un nouveau Klondike. Ce n’était pas une production très compliquée, et on pouvait avoir un petit troupeau et vendre les oiseaux à gros prix dans les restaurants gastronomiques », se remémore M. Turcotte. Les choses ont commencé à basculer vers 2007-2008, alors que la spéculation boursière a entraîné une hausse du prix des grains. « Il fallait alors faire du volume pour être rentable dans le pigeon. Pour plusieurs, c’était un hobby, alors ils ont plutôt choisi d’arrêter », dit-il. Aujourd’hui, il estime qu’on ne peut plus produire du pigeon de manière rentable à petite échelle, avec des coûts du grain quatre fois plus élevés qu’à l’époque. « Il y a encore plusieurs petits élevages où les gens élèvent des pigeons pour leur consommation personnelle, mais pour la production commerciale, on est les derniers », soutient-il.

Et même si le pigeon de chair ne représente plus que 3 % du chiffre d’affaires de la Ferme Turlo, qui fait également du porc et du poulet pour les marchés de proximité, ces oiseaux continuent de faire partie de l’ADN de l’entreprise, affirment les deux propriétaires, qui ne comptent pas abandonner cette production malgré les difficultés qu’ils traversent. C’est Rhéa Loranger qui a eu un coup de cœur pour les pigeons au début des années 2000, lors d’un stage en Europe pour apprendre les techniques d’élevage et tisser des liens avec les producteurs de génétiques. À son retour, elle a travaillé quelques années avec Carol Lebel, l’un des premiers éleveurs de pigeons de chair commerciaux du Québec, qui a démarré un élevage en 1998. Pour des raisons de santé, ce dernier a dû abandonner sa production en 2003, que Rhéa Loranger et Nicolas Turcotte ont rachetée pour démarrer la Ferme Turlo. 

La production de pigeonneaux en trois points

1 – Contrairement à plusieurs autres types d’élevages, les pigeonneaux ne peuvent survivre sans leurs deux parents. Un troupeau reproducteur doit donc être composé de couples, qui restent unis toute leur vie. À la Ferme Turlo, chaque couple de pigeons a deux nids à sa disposition dans une volière qui compte environ 25 couples au total, soit 50 oiseaux.

2 – Un couple de pigeons est productif pendant environ 12 à 15 ans. Cependant, le pic de production est atteint entre 3 et 5 ans. Le couple produira en moyenne de 2 à 4 pigeonneaux par année, sauf dans le pic de production où ce nombre est de
12 à 17 pigeonneaux par année.

3 – Après la ponte, les œufs sont couvés à tour de rôle par la femelle et le mâle qui se relaient pendant environ 18 jours jusqu’à l’éclosion. Les pigeonneaux sortent du nid vers 30 jours, où ils ont déjà une taille semblable à celle de leurs parents. C’est à ce moment qu’ils sont abattus.