Porcs 20 novembre 2023

Quel sort attend les bâtiments porcins vidés de leurs animaux?

Lorsqu’il passe devant son ancienne maternité porcine à Saint-Martin, dans Chaudière-Appalaches, Pascal Leclerc a un pincement au cœur. « Dans ma tête, c’est encore ma ferme. Je n’étais pas prêt à vendre », confie-t-il avec émotion. Sa sœur Stéphanie et lui, copropriétaires du site, ont pourtant accepté une offre d’achat, reçue il y a quelques mois, pour leur maternité porcine de 1 550 truies. Celle-ci avait été rénovée en 2019. « On a toujours tripé dans ce qu’on faisait. Mais là, avec tout ce qui se passait – les coupures d’Olymel, la fermeture de Vallée-Jonction, la guerre en Ukraine, qui a fait remonter le coût de la moulée –, on ne voyait plus d’avenir. On ne voulait pas non plus attendre encore 20 ans avant de faire des profits », explique l’ancien éleveur porcin de 42 ans, qui a réorienté ses activités du côté de l’acériculture.

Ce que je trouve plate, c’est qu’on avait une bonne renommée pour la génétique. C’est tout un savoir-faire que l’industrie perd.

Pascal Leclerc
Pascal Leclerc

Si certaines installations dernier cri arrivent ainsi à trouver preneurs, ce n’est pas le sort qui attend tous les bâtiments porcins qui seront délaissés à travers le processus de décroissance amorcé dans les élevages du Québec et qui se poursuivra encore dans les prochains mois.

Le producteur porcin Steve Nadeau, de Sainte-Marguerite, dans Chaudière-Appalaches, se demande encore ce qu’il fera d’un site d’engraissement acheté il y a un peu plus d’un an. « Je voulais le rénover pour le louer, mais là, les affaires ont changé en maudit. J’ai mis ça sur la glace, parce que ceux qui étaient supposés mettre des porcs dedans vont peut-être être coupés de 9 % par rapport à leur production de 2022 et se sont donc désistés », explique-t-il.  Il cherche désormais une autre vocation pour son bâtiment, mais les options sont peu nombreuses.  « J’ai regardé pour des poulets, mais ce ne serait pas rentable avec le prix du quota. […] Il y en a qui me parle de moutons, mais j’ai l’impression que tout le monde veut se garrocher vers ça, et puis moi, je ne suis pas équipé pour ça », analyse-t-il.

Une conversion « assez simple »

Cette conversion des bâtiments pour accueillir un autre type de production animale, le producteur Frédéric Berthiaume, de Saint-Patrice-de-Beaurivage, dans Chaudière-Appalaches, l’a vécue en 2008, alors que la filière porcine traversait une autre importante crise de son histoire. Son père et lui étaient alors éleveurs de porcs depuis 41 ans, mais ils ont choisi d’abandonner les cochons et de convertir leurs deux bâtiments en bergerie. « On avait un engraissement de 425 porcs. On a enlevé les lattes et les murets qui soutenaient les lattes. On est tombés sur le plancher, et puis on a construit une allée surélevée centrale pour l’alimentation des moutons, avec des parcs en bois, parce qu’on a beaucoup de bois ici », décrit-il. 

Leur petite maternité porcine de 55 truies a aussi été convertie en bergerie quelques années plus tard, mais pour ce bâtiment, le travail a été un peu plus compliqué, puisque des murets de béton ont dû être démolis. Ces transformations, malgré tout, ont été relativement faciles et peu coûteuses, estime le producteur qui ne regrette toujours pas sa décision. 

Des entrepôts pour la machinerie

Denis Champagne

À défaut de pouvoir être convertis pour un autre type d’élevage, les bâtiments qui seront retirés de la production porcine finiront probablement tous « en hangar ou en entrepôt pour la machinerie, ou seront tout simplement démolis », anticipe Mario Roy, producteur porcin à Saint-Jules, également dans Chaudière-Appalaches. Un avis que partage l’agronome et consultant en production porcine Denis Champagne, puisque la plupart de ces bâtiments seront « les plus désuets », précise-t-il. « Je n’en connais pas, des producteurs qui viennent d’investir dans leurs bâtiments pour les rénover ou les mettre aux normes de bien-être animal qui ont appliqué au programme de retrait temporaire. Je ne peux pas voir comment ils pourraient rembourser leur dette avec la somme qui peut être remise par les Éleveurs de porcs. Un producteur m’a dit : « Si j’adhère au programme, ça veut dire que je me mets en faillite » », rapporte-t-il.  

Les premiers 3 % de réduction amorcés

La première étape de réduction de la production porcine au Québec via le mécanisme de retrait temporaire commence à se concrétiser sur le terrain et permettra d’atteindre une première phase de réduction équivalente à 3 % de la production de 2022. « Il y en a déjà [des bâtiments] qui sont vides et il va y avoir des paiements [aux producteurs] éventuellement. On fait des vérifications terrain pour voir si le dossier est conforme. Mais ce premier 3 % de réduction s’est relativement bien passé. Ça fonctionne », a rapporté Benoit Désilet, directeur des affaires économiques aux Éleveurs de porcs du Québec, lors de l’assemblée semi-annuelle de l’organisation, le 10 novembre, à Québec.

Un autre appel de soumissions sera lancé prochainement pour sélectionner une nouvelle cohorte de bâtiments qui permettront de réduire de 4 % supplémentaires la production. Au total, le mécanisme de retrait temporaire devrait donc permettre une réduction de 7 % de la production porcine, soit environ 19 000 truies et 175 000 places porcs. La cible de réduction globale, qui est de 9 %, prend aussi en compte une baisse « naturelle » de la production de 2 %. Ce réajustement est nécessaire pour arrimer la production de porcs aux besoins d’abattage des transformateurs pour 2024.