Plantes fourragères 20 novembre 2023

La quantité n’était pas synonyme de qualité

La saison 2023 aura été difficile pour toutes les régions du Québec. Si la plupart ont enregistré des précipitations abondantes durant la période des foins, d’autres, comme l’Abitibi, ont été touchées par la sécheresse. En fin de compte, s’entendent les producteurs, la quantité était présente, mais pas la qualité.

« Le foin était là dans le champ, mais on n’était pas capables d’aller le chercher », lance Alain Beaulieu, producteur de foin de commerce et représentant des producteurs au Conseil québécois des plantes fourragères (CQPF). La période de beau temps observée fin mai, début juin aura permis à quelques producteurs laitiers de faire de bonnes coupes pour leur ensilage, mais pour les producteurs de foin de commerce, le moment était prématuré pour récolter un foin abondant.

Il y a quand même quelques producteurs de foin de commerce qui ont récolté fin mai, début juin. Il faisait très beau et les sols étaient portants. La qualité était excellente, mais le rendement n’était pas au rendez-vous parce qu’il était trop tôt en saison.

Alain Beaulieu

Il est très important de comprendre, dit-il, que les critères de qualité sont très différents dans le foin de commerce destiné aux chevaux.

Or, pour les producteurs de foin de commerce, cette attente a été fatale puisque la période durant laquelle ils récoltent normalement, fin juin, début juillet, a été noyée sous la pluie, ne laissant souvent qu’un ou deux jours de beau temps durant la semaine dont ils ne pouvaient pas bénéficier parce que le sol était trop gorgé d’eau pour porter la machinerie.

À droite, Alain Beaulieu, représentant des producteurs au CQPF, en compagnie de son père Julien, 91 ans. Photo  : Gracieuseté d’Alain Beaulieu

Producteurs déçus

« Faire les foins cette année, c’était un combat ultime contre la température », affirme Marco Pouliot, producteur de grains et de foin à Saint-Odilon, en Beauce. Certaines semaines ne comptaient que deux ou trois jours de beau temps, dit-il. Il fallait que la machinerie soit à l’ordre pour pouvoir passer à l’action rapidement et s’assurer de ne pas avoir de bris, souligne le producteur. Celui-ci estime que les pertes de qualité s’élèvent entre 60 % et 70 %, ce qui entraînera des pertes financières.

Maurice Lanctôt, de Compton, produit du foin depuis 34 ans et n’avait jamais vu une saison comme celle qui vient de se terminer. « Du 24 juin au 7-8 août, les machineries n’ont même pas bougé », dit-il. M. Lanctôt a étiré sa première coupe jusqu’en septembre. « Habituellement, le 14 juillet, c’est terminé », note ce producteur de l’Estrie. Lui aussi qualifie la qualité de sa récolte de médiocre.

En plus de faire du foin de commerce, Maurice Lanctôt est producteur laitier. « On va être obligés de donner des suppléments aux animaux pour ramener la ration au niveau de protéines qu’elle est censée être », dit-il en outre.

Pour Johnny Hugi, de L’Avenir, ni le rendement ni la valeur nutritive de la plante n’ont été au rendez-vous. Les analyses sont très basses cette année, souligne celui-ci. « De la qualité, on est venu à bout d’en faire à la deuxième et troisième coupe, mais elle a passé au feu », déplore le producteur de 800 hectares de foin. Quelque 4 000 balles ont brûlé. La cause est pour le moment inconnue. Bref, pour lui aussi, la ­saison 2023 est à oublier.

L’effet domino

Le temps pluvieux de l’été 2023 a aussi exercé une influence sur la fréquence des coupes. Alain Beaulieu parle d’un effet domino.

Étant donné que la première coupe n’a pas été faite à temps, il n’y a pas eu de deuxième ni de troisième coupe sur une bonne partie des superficies destinées au foin de commerce, ce qui fait que le rendement global a diminué.

Alain Beaulieu

Il ajoute que certains champs étaient prêts pour la deuxième coupe alors que la première n’était pas encore terminée. 

Photo : Archives/TCN

Entre les fortes pluies, les terrains séchaient mieux sur les champs où on avait fait une première coupe, puisqu’ils n’étaient pas couverts de biomasse à maturité qui bloque l’évapotranspiration de l’eau. Le foin coupé et laissé sur un sol détrempé ne pourra pas sécher, explique le représentant du CQPF. « Si tu couches le foin dans l’eau après l’avoir coupé, tu as beau faire ce que tu voudras, il ne séchera pas », dit-il.

Des régions plus affectées

La situation a été moins mauvaise dans certaines régions, comme celle du Bas-Saint-Laurent, où les pluies ont été moins fréquentes et moins abondantes. Or, une forte proportion des producteurs qui commercialisent le foin pour les chevaux se retrouve dans les régions les plus affectées telles que l’Estrie, à cause de la proximité avec la frontière américaine. « Les régions les plus productives sont celles qui ont été les plus touchées par les fortes pluies », dit-il.

Selon M. Beaulieu, même si les producteurs laitiers ont pu bénéficier de meilleures conditions pour récolter leur première coupe de foin d’ensilage avant le début des pluies aux environs du 24 juin, l’été 2023 aura été marqué par des conditions ­d’humidité excessive des sols, rendant la récolte très difficile. Heureusement, ­certains avaient constitué une réserve de fourrage à la suite de la saison exceptionnelle de récolte en 2022. 

Celui-ci rappelle que « 2019 et 2020 avaient été des années de sous-production à cause d’un manque d’eau, ce qui a réveillé chez certains producteurs le réflexe d’être plus conservateurs pour pallier une mauvaise année. Ils ont pu utiliser cette année du foin récolté en 2022 ».

Alain Beaulieu conclut avec cette phrase qui résume bien ce qu’il faut retenir de l’été 2023 : « Il a fallu être patient et résilient, avoir des plans A, B et C, être très bien équipé et surtout être prêt quand le beau temps passait. »