Oeufs 26 janvier 2024

Un projet en démarrage étouffé dans l’œuf

Une entreprise agricole de la Montérégie qui souhaitait démarrer une nouvelle production d’œufs de consommation s’est frottée à diverses embûches, dont la rareté du quota, pour rentabiliser son projet. Celui-ci a finalement été étouffé dans l’œuf, le 10 janvier, alors que la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ) a refusé d’accorder un délai supplémentaire à l’entreprise pour construire son poulailler.

Gérard et Philippe Aeschlimann, copropriétaires des Fermes Victoire, à Sainte-Brigide-d’Iberville, ont acheté leurs premières unités sur le système centralisé de vente de quota pour la production d’œufs de consommation en 2017. Leur objectif était de permettre à la fille de Gérard d’intégrer les activités de la ferme en démarrant une nouvelle production. L’entreprise compte déjà d’autres productions sous gestion de l’offre, dont le poulet de chair, le dindon et le lait.

Or, la rareté du quota dans le secteur des œufs de consommation et d’autres aléas, dont la pandémie de COVID-19, ont freiné leur élan et ralenti le démarrage du projet.

Le règlement de production d’œufs de consommation prévoit que le nouveau titulaire d’un quota dispose d’un délai de cinq ans pour le mettre en production. Une exigence que les Fermes Victoire n’ont pas pu respecter. En juillet 2023, ­l’entreprise a donc déposé une demande à la RMAAQ pour obtenir un délai supplémentaire jusqu’à la fin 2024.

La Fédération des producteurs d’œufs du Québec (FPOQ) ne s’y opposait pas, puisque cette demande s’inscrivait « dans sa volonté d’assouplir les règles pour les plus petits producteurs », note la Régie dans sa décision. 

Malgré tout, cette dernière a jugé que les raisons invoquées par l’entreprise pour expliquer son retard n’étaient pas suffisamment « exceptionnelles » par rapport aux autres titulaires qui ont acquis leurs premières unités de quota en 2017. « Cinq d’entre eux ont démarré la production de leur quota dans le délai requis, et un a abandonné son projet et revendu les unités achetées avant de démarrer la production », mentionne la Régie, qui a rejeté la demande et obligé les Fermes Victoire à mettre en vente les quelque 469 unités de quota acquises sur le système centralisé de vente de quota, tel que l’exige le règlement quand les délais ne sont pas respectés. L’entreprise a également dû remettre dans la réserve générale de quota de la fédération les 913 unités de quota pour lesquelles elle avait obtenu un droit d’utilisation. 

Ça nous a surpris, vraiment. On était convaincus que la décision serait favorable. On avait ce projet très à cœur, mais au Québec, ça prend au moins 6 000 poules pondeuses pour que la production soit rentable. Nous, on était prêts à investir, mais on n’avait aucune garantie qu’on pourrait avoir accès à plus de quota pour rentabiliser les installations.

Gérard Aeschlimann

Malgré sa déception, le producteur précise qu’il n’a aucun reproche à faire au système de gestion de l’offre, qui est, dit-il, « un bel outil, qui stabilise la production, mais qui n’est pas fait pour ceux qui partent de rien ».

Engouement pour un quota très rare

Le président de la FPOQ, Paulin Bouchard, rappelle que les gens doivent être conscients des possibilités qui s’offrent à eux lorsqu’il démarre un projet, et qu’ils doivent aussi adapter leurs attentes en fonction de la disponibilité du quota, pour lequel il y a un fort engouement, affirme-t-il. « Les délais de cinq ans [exigé pour la mise en production] sont réalistes pour ceux qui commencent en desservant d’autres types de marchés, comme un marché de proximité, explique-t-il, mais pour ceux qui veulent avoir une production à plus grande échelle, en allant avec un classificateur et tout ça, c’est plus difficile quand il n’y a pas de quota à vendre. »  Le dirigeant ajoute que dans cette production, les transferts de quota de gré à gré ne sont pas possibles, sauf entre les membres d’une même famille. « On a une belle relève, avec beaucoup de transferts interfamiliaux. C’est ce qui enlève 90 % du quota à vendre [sur le système centralisé] et qui le rend très rare. C’est un marché restreint », illustre-t-il. 

Néanmoins, il spécifie que le producteur ne perdra « pas un sou noir » dans cette histoire, puisqu’il pourra revendre son quota aussi cher que payé. « Il perd seulement son rêve de partir avec une plus grosse entreprise d’œufs », souligne M. Bouchard. De son côté, Gérard Aeschlimann ne ferme pas la porte à relancer son projet sous une autre forme en rachetant du quota si l’occasion se présente.