Oeufs 11 mai 2023

La moulée étant devenue trop chère, ils se tournent vers la drêche

RAGUENEAU – Les œufs des poules de la ferme Les Jardins de Carmanor porteront désormais la mention « poules en liberté » au lieu de « biologiques », une transition amorcée par les propriétaires en vue de prioriser l’économie circulaire en récupérant la drêche d’une brasserie voisine.

Située à Ragueneau, sur la Côte-Nord, la ferme, fondée en 2018, subissait plusieurs enjeux liés aux coûts des intrants, explique Steve Berthiaume, copropriétaire avec son père Pierre. « Pour nous, en région éloignée comme ici, le coût du transport a explosé. Cette année, pour se procurer la moulée bio, on passait de 200 $ à 600 $ la tonne de frais de livraison. Considérant que le prix de la moulée avait aussi augmenté, on s’est retrouvés avec 900 $ de plus à payer par mois », dit le producteur, qui élève 500 poules pondeuses. Pour absorber cette hausse de coût, il aurait fallu hausser de 1 $ le prix de la douzaine d’œufs, un pas que les propriétaires ne voulaient pas franchir.

Pendant ce temps, la microbrasserie Saint-Pancrace de Baie-Comeau, à qui Steve Berthiaume vend le houblon qu’il produit à sa ferme, cherchait un moyen de se débarrasser de sa drêche, soit le résidu de céréales résultant de la production de la bière. « C’était une belle occasion de récupérer ces céréales, encore très nutritives, pleine de protéines. La microbrasserie devait payer pour envoyer ça au site d’enfouissement, alors ils ont décidé de nous les donner. On est très contents de récupérer cet aliment sain pour qu’il ne se retrouve pas à la poubelle », dit l’éleveur.

Il faut aller chercher la drêche au plus tard 24 h après le brassage de la bière, afin de limiter la production des micro-organismes, explique-t-il. « Une fois revenus à la ferme, on doit tout de suite la faire sécher pour la stabiliser, et ensuite, on la concasse pour l’ajouter à la moulée. »

Le producteur pense pouvoir introduire 30 à 40 % de drêche à la moulée non bio qu’il achète maintenant chez Sollio, non loin de la ferme, ce qui pourrait lui permettre d’économiser beaucoup. « On sauve en plus les frais de transport. Je pense qu’au lieu de me coûter 1 800 $ la tonne, ça va me coûter autour de 850 $ la tonne de moulée », calcule-t-il.

En abandonnant la certification biologique, Steve Berthiaume cherchait aussi plus de flexibilité dans la régie de sa ferme. « Ça demeure dans mes valeurs d’opérer ma ferme le plus naturellement possible. Mes poules vont garder les mêmes conditions de vie, et s’il n’y a pas de problème, je ne vais pas utiliser de pesticides pour mes légumes et mon houblon. » Il fait valoir qu’en région éloignée, sans accès aux outils et aux produits, il est particulièrement difficile d’opérer en bio. « Peut-être qu’un jour, je retournerai à ça, mais en démarrage d’entreprise, on n’a pas les reins assez solides. Il suffit que je perde une culture à la fin de la saison et je vais devoir mettre la clé dans la porte. Devant l’incertitude, on essaie d’avoir un peu plus de marge de manœuvre », conclut-il.

Les 500 poules pondeuses auront désormais de la drêche de microbrasserie dans leur ration de moulée. Photo ; Gracieuseté des Jardins de Carmanor