Maraîchers 22 février 2023

Des maraîchers bio épuisés

La pression du métier, le stress financier et les semaines de 80 heures rendant la conciliation travail-famille difficile ont incité trois fermes maraîchères biologiques à mettre leurs activités sur la glace cette année pour soit réfléchir à un nouveau modèle d’affaires ou carrément arrêter la production. 

« Vendre nos légumes, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est rentabiliser la chose. Il faudrait charger un prix de fou pour y arriver », témoigne Mélina Plante, copropriétaire, avec son conjoint François D’Aoust, de la ferme Les Bontés de la Vallée, à Havelock, en Montérégie. Peinant à joindre les deux bouts dans un contexte où produire des légumes bio coûte cher par rapport à ce que le consommateur est prêt à payer, les agriculteurs chevronnés, en activité depuis plus de 15 ans, ont pris la décision de prendre une pause en 2023 pour mieux réfléchir à leur avenir et revoir leur modèle d’affaires. En 2022, ils avaient environ 300 abonnés à leurs paniers bio et 200 autres clients dans un marché public à Montréal, mais les longues semaines de travail de 80 heures étaient devenues insoutenables pour eux. Leurs faibles revenus, par ailleurs, ne leur permettent pas d’embaucher plus de ressources qu’ils en ont déjà pour les aider sans devoir augmenter le prix de leurs produits. Le couple refuse toutefois de lancer la ­serviette. 

C’est à nous autres de nous prendre en main. En général, et ce n’est pas juste en agriculture, on est toujours en train d’attendre une instance décisionnelle. […] Nous, ce qu’on aimerait, c’est que les gens se rapprochent des fermes, avoir un modèle d’agriculture qui fait en sorte qu’on est capables de garder ce lien-là avec le consommateur direct. 

François D’Aoust, de la ferme Les Bontés de la Vallée

Deux fermes d’Outaouais tirent leur révérence

Copropriétaire, avec sa conjointe, de la ferme Le Vallon des sources, à Ripon, en Outaouais, Nicolas Massuard abdique pour de bon cette année, après avoir repris, en 2019, la ferme familiale pour laquelle il travaillait depuis 20 ans. Il cultivait, avec un employé, environ cinq hectares de légumes biologiques qu’il commercialisait en gros. « Je n’ai pas réussi à me dégager un salaire depuis trois ans. Tous nos intrants, gaz, semences, tout monte, mais nos prix de vente n’ont jamais bougé. On n’arrête pas de nous dire que c’est trop cher », signale l’agriculteur. 

Il raconte, par exemple, avoir eu, comme plusieurs confrères, des problèmes de rentabilité pour son ail en 2022, en raison du marché engorgé et des faibles prix. Les salaires, les infrastructures et la machinerie requis pour la vente en gros à Montréal, en revanche, lui ont coûté cher. Il dit se sentir soulagé depuis qu’il a pris la ­décision d’arrêter. Le père de trois enfants s’est déniché un autre emploi lui permettant de passer plus de temps avec sa famille. 

L’épuisement et le stress ont aussi eu raison de la détermination des copropriétaires de la Ferme Coop la Rosée, à Notre-Dame-de-la-Paix, dans la même région, qui sera mise en vente sous peu. « On était engloutis par le travail, le stress financier, les salaires qui augmentent », témoigne la copropriétaire Camille Faubert, qui a repris en 2017 la ferme familiale en activité depuis 27 ans. La mère de deux enfants dit elle aussi ressentir un poids en moins depuis qu’elle a pris cette décision, qui lui permet de se recentrer sur sa famille. Pourtant, les affaires allaient plutôt bien pour la productrice, qui parvenait à rentabiliser son entreprise et à payer ses employés avec la vente directe, à l’année, de légumes de conservation au marché public d’Ottawa. Elle était toutefois loin de faire fortune, considérant toutes les heures travaillées. « On s’est rendu compte que c’était trop gros et qu’on n’était pas prêts à continuer dans cette voie-là. On va pouvoir prendre le temps de se poser », témoigne-t-elle.  

Création d’une communauté solidaire

Les propriétaires de la ferme Les Bontés de la Vallée, Mélina Plante et François D’Aoust, réfléchiront à la possibilité de mettre en place un modèle d’agriculture soutenue par la communauté inspirée d’un concept de la Temple-Wilton Community Farm, aux États-Unis. Un coût fixe donnant accès, chaque semaine, à la quantité souhaitée de légumes bio à la ferme selon la disponibilité serait suggéré aux membres. Ce tarif correspondrait aux dépenses opérationnelles nécessaires, incluant les salaires des propriétaires et des employés, divisées par le nombre de membres. Le montant suggéré ne serait toutefois pas obligatoire; chacun aurait ultimement le choix de contribuer à la hauteur de ses moyens. « L’idée, c’est de s’entendre ensemble, d’être vraiment partenaires. Si on voit qu’il en manque, que les [contributions volontaires] ne sont pas suffisantes pour couvrir les dépenses, on le dit aux membres. […] Ceux qui ont les moyens pourraient, par exemple, dire qu’ils vont contribuer un peu plus », explique le producteur. L’objectif pour le couple, qui est en vedette dans un documentaire intitulé Humus, serait de pouvoir se dégager un salaire tout en respectant la capacité de payer de chacun.