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Un sous-sol d’entrepôt dans une zone industrielle de Montréal, près de l’intersection de deux autoroutes, semble à peu près aussi éloigné d’un habitat du poisson que possible.
Toutefois, dès que l’on franchit les portes de la ferme piscicole urbaine Opercule, l’odeur immanquable du poisson remplit l’air.
Après avoir enfilé des bottes en caoutchouc et des blouses de laboratoire, les visiteurs sont accueillis par le bourdonnement constant du système de filtration de l’usine. À l’intérieur du sous-sol de l’entrepôt faiblement éclairé, des milliers d’ombles chevaliers élégants et tachetés, un poisson de l’ordre des salmonidés, nagent dans une dizaine de bassins ronds, leurs nageoires brisant doucement la surface ou envoyant des éclaboussures alarmées alors qu’ils se précipitent loin des personnes qui s’approchent des réservoirs.
L’entreprise a été fondée par David Dupaul-Chicoine et Nicolas Paquin. Tous deux se sont rencontrés pendant leurs études en aquaculture en Gaspésie. Ce qui a commencé comme une expérience d’élevage de poissons dans le garage de M. Dupaul-Chicoine s’est transformé en une activité commerciale qui devrait bientôt produire entre 25 et 30 tonnes d’ombles chevaliers par an.
En élevant des poissons sur terre et en milieu urbain, M. Dupaul-Chicoine et M. Paquin disent espérer éviter certains des problèmes associés aux fermes piscicoles à filet ouvert, que certains défenseurs de l’environnement soupçonnent de nuire au stock sauvage en propageant des maladies ou des parasites, ou en s’échappant et en se croisant avec eux.
« Nous n’essayons pas de prouver quoi que ce soit, mais nous essayons de faire les choses comme nous pensons qu’elles devraient être faites, a déclaré M. Dupaul-Chicoine. Nous élevons des poissons pour les vendre et nous pensons à chaque petite étape de la production. La façon dont nous livrons, la façon dont tout est fait, nous essayons de le faire d’une manière plus respectueuse de l’environnement. »
L’entreprise utilise un système de recirculation qui filtre l’ammoniac et le dioxyde de carbone de l’eau, qui est ensuite réinjecté avec de l’oxygène et pompé vers les réservoirs, ce qui réduit considérablement sa consommation d’eau. Sa location urbaine réduit les émissions de gaz à effet de serre, car les livraisons aux restaurants peuvent être effectuées sur des vélos électriques. De plus, les entrepreneurs ne tuent les poissons qu’une fois les animaux commandés, ce qui réduit les déchets. Ils ont même remplacé les conteneurs de livraison en polystyrène par du carton isolé.
L’omble chevalier a été choisi parce qu’il se vend à bon prix et que les animaux restent en bonne santé dans de petits espaces.
Le seul inconvénient sur le plan environnemental, disent-ils, est que l’usine de transformation du poisson consomme « beaucoup » d’électricité. Leur modèle économique, a dit M. Dupaul-Chicoine, n’aurait probablement aucun sens si l’usine fonctionnait au charbon. Heureusement pour eux, le Québec dispose d’une grande quantité d’hydroélectricité bon marché et relativement propre.
Le duo a affirmé que son plus grand défi a été d’obtenir les permis nécessaires, un processus qui leur a pris environ deux ans après le démarrage de leur entreprise, en 2019. Puisqu’il faut 15 ou 16 mois pour qu’un poisson passe d’un œuf à la taille du marché, les premières ventes n’ont été effectuées qu’au début de 2023.
Un système de filtration intérieur comme le leur a également besoin d’entretien et d’un flux constant d’électricité. Parmi leurs moments les plus stressants que les deux hommes ont vécu, figure une panne de courant de deux jours, survenue lors d’une tempête de verglas plus tôt cette année. Ils craignaient que leur générateur tombe en panne et qu’il leur fasse perdre du poisson.
« Vous devez vous assurer d’avoir des plans B, et des plans B du plan B », a déclaré M. Dupaul-Chicoine.
Certains avantages
Grant Vandenberg, spécialiste de l’aquaculture au Département des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, affirme que les fermes terrestres à recirculation d’eau présentent certains avantages par rapport aux fermes en enclos en filet, qui sont des cages fermées qui flottent dans des sources d’eau naturelles. Les fermes terrestres éliminent les préoccupations concernant les interactions environnementales entre les poissons sauvages et d’élevage, et les déchets sont plus faciles à collecter et peuvent même être recyclés en engrais pour les plantes, a-t-il expliqué.
Cependant, les fermes terrestres sont plus chères à mettre en place et à exploiter, et nécessitent plus de main-d’œuvre, de machines et d’énergie que les enclos en filet, a déclaré M. Vandenberg. « Il serait très difficile pour certains d’être concurrentiels sur le plan économique », a-t-il dit, notant que les consommateurs ont la possibilité d’acheter du poisson importé produit pour moins cher dans d’autres pays ou d’autres provinces.
M. Vandenberg a affirmé qu’en dépit des controverses, la pisciculture a un rôle important à jouer dans la prévention de la surpêche des populations sauvages. L’amélioration de la technologie piscicole, a-t-il ajouté, réduit l’impact environnemental de l’industrie.
Tout comme l’agriculture a largement remplacé la chasse en ce qui concerne la viande, « nous devons également arrêter de pêcher le poisson, et je pense que la réponse est de les produire », a-t-il soutenu.
La pisciculture améliorerait également la souveraineté alimentaire, a indiqué M. Vandenberg, notant que le Québec, qui n’utilise pas d’enclos en filet en eau libre, ne produit que 7 % de la truite qu’il consomme. Il a dit que l’exploitation de M. Paquin et M. Dupaul-Chicoine, à Montréal, représente un modèle intéressant parce que la proximité de l’usine avec son marché réduit les coûts d’expédition et garantit un poisson plus frais.
M. Dupaul-Chicoine et M. Paquin ont déclaré qu’ils ont dû dépenser environ 1M$ pour lancer leur pisciculture, qui comprend une installation de transformation, et ils admettent que cela n’aurait pas été possible sans les subventions du gouvernement provincial. Cependant, ils se sont dits satisfaits des premières ventes, notant qu’ils ont récemment dépassé le seuil de rentabilité en termes de rentabilité opérationnelle.
Tous deux ont dit que, jusqu’à présent, ils n’ont aucun regret. « Avant cela, j’avais une carrière d’ingénieur en mécanique et j’ai décidé que je voulais changer, a raconté M. Paquin. Donc, pour moi, c’est amusant, même si c’est difficile. »
Une fois qu’ils auront prouvé aux investisseurs et à eux-mêmes que leur modèle d’entreprise peut être couronné de succès, ils espèrent se développer dans un établissement plus grand.
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