Acériculture 6 juin 2023

Les acériculteurs craignent de manquer de sirop

DRUMMONDVILLE – Les acériculteurs du Québec réunis en assemblée générale annuelle, le 1er juin à Drummondville, se sont dits préoccupés par le très faible niveau de leur réserve stratégique, par la faible saison de récolte 2023 et par l’augmentation de la demande qui pourrait ne pas être comblée.

Les dirigeants des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ) ont déjà pris la décision d’annoncer, en mai, l’émission de 7 millions d’entailles, totalisant une émission record de 14 millions d’entailles en trois ans. Cela n’empêche pas Guillaume Dame, de Stukely-Sud, en Estrie, de s’inquiéter. « Présentement, on vit une incertitude, tant pour fournir les ventes en sirop que pour bâtir une réserve. Parce qu’on ne les installera pas au complet, les 7 millions, et on ne les atteindra pas, les 200 millions [de livres]. À moins qu’on fasse trois grosses années, je ne pense pas qu’on va en avoir assez pour se faire une réserve de 100 millions de livres. Il serait temps qu’on mette en place le mécanisme d’offrir du contingent chaque deux ou trois ans pour offrir de la prévisibilité », a affirmé le producteur qui exploite 8 400 entailles.

Ses propos ont été repris par un confrère de Lanaudière, Alan Bryson. « Ultimement, il faut regarder vers où on s’en va. Si l’industrie maintient ses ventes d’aussi peu que de 5 % d’augmentation, le nombre d’entailles qu’on met là ne sera pas assez. Ça va prendre d’autres entailles. J’ai visité l’entrepôt et ce sont des pieds carrés et des pieds carrés de vide. C’est beau de dire qu’on va avoir besoin de 200 millions de livres en 2027, mais la réalité, c’est qu’on n’en aura pas assez, de sirop. Ça m’inquiète, ça m’inquiète beaucoup, car ça va affecter notre développement à moyen et long terme », a dit le copropriétaire de l’Érablière Omaple.

Le directeur adjoint des PPAQ, Simon Doré-Ouellet, s’attend à ce que les émissions de contingent soient plus régulières, et évoque même la possibilité d’émettre sept millions d’entailles tous les trois ans. Photo :Martin Ménard/TCN

Le directeur adjoint des PPAQ, Simon Doré-Ouellet, est optimiste, notamment avec la hausse de prix substantielle qui vient d’être négociée pour le sirop, et se dit persuadé que l’ensemble des contingents émis récemment trouvera preneur. L’agroéconomiste de formation s’attend toutefois à ce qu’une proportion ne soit pas installée. « En 2016, on en avait 800 000 non installés, et environ un million en 2021. Dans nos projections, on le considère », a-t-il indiqué.

Concernant le souhait de plusieurs producteurs d’avoir une émission de contingent chaque année, M. Doré-Ouellet estime que cela serait trop dispendieux et énergivore, autant pour le producteur que pour les PPAQ, qui doivent évaluer chaque dossier lors de chaque émission. D’autant plus que l’émission des contingents est soumise à la Régie des marchés agricoles du Québec. « Mais on est en discussion pour voir ce que serait le système idéal pour émettre des contingents. On s’en va probablement sur une émission chaque trois ans de sept millions d’entailles. On s’offrirait ainsi une meilleure planification à long terme », a-t-il avancé.

Fait intéressant, le directeur adjoint a expliqué que lors des dernières années, l’augmentation de la demande des acheteurs était en grande partie compensée par les gains de productivité des producteurs. Or, M. Doré-Ouellet et son équipe prévoient que les gains de productivité atteindront un plateau et qu’il faudra accroître les émissions pour assouvir l’appétit accru des acheteurs.


Renflouer la réserve pourrait coûter cher à court terme

Renflouer la réserve stratégique de sirop est crucial aux yeux de l’acériculteur François Rhéaume, mais cette opération aura un coût énorme, a précisé celui qui réclame notamment la contribution financière des gouvernements. « La seule manière d’augmenter la réserve est d’émettre plus d’entailles. Il faut plus de production que nos ventes, mais vu qu’on est payés en fonction des ventes, c’est clair que dans les prochaines années, on va être payés à 85 % [des livraisons de sirop] ou même, s’il y a une grosse récolte et si les marchés baissent, on pourrait être payés en bas de 75 %. Plusieurs producteurs, surtout ceux qui commencent, ne pourront pas se permettre d’être payés à 75 %. Désolé, mais ça ne fonctionnera pas; ils n’arriveront pas », a assuré l’acériculteur de l’Estrie.

Il a aussi souligné que la réserve est un outil d’exportation. « Il faut trouver des partenaires pour la financer, car plusieurs producteurs n’auront pas les reins assez solides. Ça pourrait être les acheteurs, qui en bénéficient comme garantie d’approvisionnement, et le gouvernement, car l’érable représente maintenant un PIB de plus de 1 milliard », a-t-il précisé. Au Conseil de l’industrie de l’érable, qui représente les acheteurs et transformateurs, le directeur général, Jean-Marc Lavoie, estime que la réserve stratégique doit être soutenue par les producteurs. « Dans une mise en marché collective, tant que le sirop n’est pas vendu aux acheteurs, il n’est pas payé aux producteurs. C’est la nature du plan conjoint qui est faite comme ça », a expliqué M. Lavoie, en ajoutant que les transformateurs soutiennent déjà de l’inventaire entre le moment où ils achètent le sirop des producteurs, qu’ils l’embouteillent et ensuite que leurs clients les paient.

« Il ne faudrait pas manquer le virage de la relève »

Avec l’augmentation des taux d’intérêt, du prix de l’équipement et de la valeur d’achat des érablières, le milieu acéricole doit penser davantage au futur et à sa relève, a soutenu Steve Paris, copropriétaire de l’Érablière Mont Sucre, à Lac-aux-Sables, en Mauricie. « Dans l’érable, on a des petites entreprises, des moyennes et des grandes; et chacune peut tirer son épingle du jeu. Ce n’est pas le cas dans les autres secteurs agricoles où si tu n’es pas devenu une grosse ferme, tu ne gagnes pas bien ta vie. Nous, on a des entre-deux. Il ne faudrait pas manquer le virage de la relève comme le reste de l’agriculture l’a manqué. Il faut mettre des choses en place, comme payer à 100 % leur contingent pendant cinq ans pour améliorer leurs liquidités », a-t-il proposé en marge de l’assemblée générale des Producteurs et productrices acéricoles du Québec. Il a mentionné que lorsque son érablière sera à vendre un jour, il préférera l’offrir à un jeune qui pourra en faire son emploi plutôt qu’à un gros joueur qui deviendra encore plus gros.

Philippe Leduc. Photo : Martin Ménard/TCN

L’importance d’être prêt pour les prochaines émissions

Assis à l’arrière de la salle, Philippe Leduc, de l’érablière ProForêt Acéribois, a déclaré que la nouvelle émission d’entailles était une bonne chose et qu’il fallait s’y préparer à l’avance. À preuve, son matériel est déjà commandé, le terrain est déjà débroussaillé et aménagé pour qu’il procède dans les prochaines semaines à l’installation de la tubulure sur 2 000 nouvelles entailles, et ce, avant même de savoir combien de contingents il recevra. « On commence avec 2 000 et on ajustera selon ce qu’ils [les PPAQ] nous donneront. On aimerait ajouter 4 000 entailles. On va être plus rentables, car on ajoute des entailles tout en gardant le même set-up. » Il invite les producteurs à se préparer aux prochaines émissions. « Je commence l’an prochain à aménager un autre bloc pour être prêt quand ils vont donner du nouveau contingent, car plus vite tu t’embrayes, meilleure est la rentabilité. Et tu peux embarquer sur le volet croissance [et avoir encore plus de contingents] », explique l’acériculteur et ingénieur forestier.