Vie rurale 16 novembre 2017

Conciliation travail-famille : la sécurité, un enjeu de taille

Devant se lever à l’heure des poules pour faire la traite des vaches, des parents décident de laisser leurs bambins dormir paisiblement à la maison. Armés d’un moniteur, ils se rendent à l’étable. Ce geste anodin peut s’avérer lourd de conséquences.

Laisser les tout-petits seuls à la maison est risqué, mais les emmener à la ferme l’est tout autant. Difficile de faire parler ouvertement les mamans sur une réalité atypique qui se perpétue pourtant de génération en génération.

« C’est vrai qu’on est peut-être un peu… pas négligents, mais moins alertes ou trop confiants relativement aux dangers », avoue l’agricultrice Jasmine Marcotte. « La solution miracle n’existe pas », renchérit la productrice de veaux de grain Mélanie Cardin. Chacune réussit à se débrouiller comme elle le peut avec ses enfants.

Dangers à la ferme

« L’agriculture, c’est ce qu’il y a de plus beau. En emmenant nos enfants sur les lieux d’exploitation, on leur fait connaître ce mode de vie, ce qui crée un lien très fort avec eux », affirme d’emblée la productrice Emmanuelle St-Jean. Les accidents sont pourtant fréquents : un enfant de huit ans qui tombe de l’échelle du silo, un bébé de deux ans qu’on doit attraper de justesse avant qu’il ne soit happé par une vis sans fin…

L’environnement dans lequel les enfants évoluent est considéré comme dangereux et en bas âge, ceux-ci sont imprévisibles. L’ami de Denis Gauthier s’est fait coincer le pied sous le tracteur parce que son enfant de six ans avait marché sur la manette hydraulique dans la cabine en voulant regarder son père travailler. « Ça ne fait pas de nous des parents négligents, malgré le fait que ça ait souvent l’air de ça de l’extérieur », indique Mélanie Cardin. Voilà pourquoi les agriculteurs évitent volontairement d’en parler devant les non-initiés, de peur d’être incompris et jugés.

Consciente des dangers, Mme St-Jean a adopté différentes mesures de sécurité. Lorsqu’e celle-ci effectue des travaux à l’étable, elle met sur sa fille de deux ans un petit sac à dos muni d’une corde qui la relie à elle. Dans le tracteur, les enfants sont attachés, sauf lorsqu’ils dorment, et les clés sont enlevées du contact durant les arrêts.

Carmen Ducharme
Carmen Ducharme

À la maison

Installer des caméras, un interphone pour bébé ou un petit poste émetteur-récepteur dans la maison est l’approche privilégiée par les producteurs laitiers pour pallier le problème de la traite matinale. Mais laisser ses enfants seuls n’est pas la meilleure solution. Quand ceux de l’agricultrice et éducatrice en garderie Julie Bénard étaient plus jeunes, elle avait aménagé une chambre dans sa maison pour sa propre mère, afin que celle-ci puisse les surveiller.

Comme elle, plusieurs familles ont la chance d’avoir des grands-parents disponibles pour aider, mais ce n’est pas toujours le cas. L’ancienne présidente de la Fédération des agricultrices du Québec, Carmen Ducharme, est encore active à la ferme. Elle n’a pas le temps de garder ses petits-enfants. La gardienne ou la garderie est la seule option pour eux, avec les défis financiers ou d’emploi du temps que cela comporte. La garderie ouvre souvent trop tard le matin et ferme trop tôt le soir. Jasmine Marcotte a dû faire un choix déchirant à cet égard. Spécialisée en production laitière et mère de famille monoparentale, elle a dû se réorienter. « Je me suis tournée vers l’élevage porcin parce que l’horaire correspondait mieux à celui de la garderie », confie Mme Marcotte. « Même si on pouvait avoir accès à des services adaptés, affirme Mélanie Cardin, on ne les utiliserait pas. Personne n’a envie de réveiller son enfant à 4 h 15 pour le déposer à la garderie et le laisser là jusqu’à 18 h. C’est trop long. » Julie Bénard est du même avis. En tant qu’éducatrice d’un centre de la petite enfance, elle considère que les journées seraient beaucoup trop longues pour l’enfant. Pourtant, Mme Bénard caresse un projet de retraite tout particulier, celui d’ouvrir une garderie aux horaires atypiques.

L’instigatrice de l’utilisation de la pancarte Attention à nos enfants à la ferme, Carmen Ducharme, indique avoir voulu, en 2001, sensibiliser les conducteurs qui s’engagent dans les chemins de fermes aux réalités familiales de ces dernières. Crédit photo : Gracieuseté des Agricultrices du Québec
L’instigatrice de l’utilisation de la pancarte Attention à nos enfants à la ferme, Carmen Ducharme, indique avoir voulu, en 2001, sensibiliser les conducteurs qui s’engagent dans les chemins de fermes aux réalités familiales de ces dernières.
Crédit photo : Gracieuseté des Agricultrices du Québec

Avec la collaboration de Martin Ménard.