Territoire 23 janvier 2024

Pertes de rendement liées aux cours d’eau : des producteurs envisagent de mettre en demeure leur MRC

Julien Tanguay attend depuis quatre ans que le cours d’eau traversant ses terres soit nettoyé. Sa patience a atteint ses limites, notamment en raison des pertes de rendement qu’il a subies dans l’un de ses champs l’an dernier après qu’un volume d’eau non évacué eut asphyxié ses plants de soya et de maïs.

« Si ça ne se règle pas cette année, c’est sûr et certain qu’on fait une mise en demeure à la MRC [des Maskoutains]. Même si tout le monde nous dit que ça ne sert à rien, ça va leur montrer qu’on a des pertes, qu’on est mécontents et qu’il faut que ça se règle. Surtout que c’est un service qu’on paie », s’insurge M. Tanguay, un producteur de grandes cultures de Saint-Pie, en Montérégie.

Le drone de Julien Tanguay a photographié les surplus d’eau causés par le mauvais nettoyage du cours d’eau. Photo : Gracieuseté de Julien Tanguay

Un peu plus loin, l’agriculteur François Jodoin éprouve également des problèmes avec la gestion des cours d’eau dans sa MRC de Marguerite-D’Youville. Il envisage lui aussi l’option de la mise en demeure pour tenter de faire bouger les choses. « Une partie de nos terres est desservie par une station de pompage gérée par la MRC et ils ont arrêté les pompes pendant cinq jours. C’est une décision qu’ils ont prise sans nous en parler, mais qui a inondé nos terres. Il y avait deux pieds d’eau dans le champ et toutes les cultures sont mortes sur neuf hectares. Ce n’est pas juste moi; on était trois producteurs dans la même situation », relate-t-il à propos de ce surplus d’eau datant de juillet 2023.

Confrontation

Il déplore que l’ambiance ait été à la confrontation avec la MRC. « L’employé ne voulait rien savoir de faire repartir les pompes. Avec un autre producteur, on a décidé d’aller s’asseoir dans les bureaux de la MRC jusqu’à tant qu’il les reparte. Il a fini par le faire », raconte le copropriétaire de la Ferme Normand Jodoin. Celui qui possède des terres à Verchères en aval et en amont de ladite station de pompage soutient qu’arrêter les pompes n’était pas une action justifiée.

J’ai regardé pour des recours judiciaires contre la MRC, mais on m’a dit qu’il n’y a rien à faire, car c’est une cause naturelle et qu’il serait dur à prouver que les pompes sont uniquement responsables [de la perte de rendement]. Mais je pense que toutes les fois qu’on aura un problème dans le futur, ce sera une mise en demeure. Ce n’est pas ce qu’on veut, car on veut une bonne entente. Mais si on veut des mouvements plus rapides, on n’aura peut-être pas le choix.

François Jodoin, copropriétaire de la Ferme Normand Jodoin

Par ailleurs, il a remarqué que le niveau d’eau entraîné par l’arrêt des pompes a ramolli la terre de la bande riveraine et ainsi créé de l’érosion.

François Jodoin a subi des pertes importantes dans son champ de maïs provoquées par l’arrêt des pompes effectué par sa MRC. Photo : François Jodoin
Lors du dernier Salon de l’agriculture de Saint-Hyacinthe, l’agriculteur Léon Guertin a fait un arrêt au kiosque de La Terre pour faire état de ses problèmes avec le nettoyage des cours d’eau.

Lors du dernier Salon de l’agriculture de Saint-Hyacinthe, l’agriculteur Léon Guertin a fait un arrêt au kiosque de La Terre pour faire état de ses problèmes avec le nettoyage des cours d’eau. Il a raconté que la MRC des Maskoutains et le ministère des Transports avaient exécuté des travaux d’urgence, en janvier, sur une petite portion près d’une route importante, la 235. « Nous verrons le printemps prochain si ces travaux seront suffisants pour éviter de retarder nos semis et nous permettre d’attendre les travaux d’entretien nécessaires prévus pour 2025. Et ce, si les processus d’autorisation de la Ville de Saint-Hyacinthe, de la MRC des Maskoutains et du ministère de l’Environnement ne s’éternisent pas. »

Léon Guertin accuse des pertes de rendement en raison d’un mauvais nettoyage d’un cours d’eau. En janvier, des travaux d’urgence ont été effectués sur une petite portion située en bordure d’une route importante. L’agriculteur espère que le reste des travaux ne s’éternisera pas. Photo : Léon Guertin

Dédale bureaucratique

Julien Tanguay s’explique mal le dédale bureaucratique nécessaire pour obtenir le simple nettoyage d’un cours d’eau. Il a dû effectuer une première demande à sa municipalité, laquelle a été perdue, l’obligeant à recommencer, raconte-t-il. Ensuite, la municipalité a transféré sa demande à la MRC, qui l’a évaluée pendant trois ans. « L’année passée, ils sont venus mettre des piquets d’arpentage et on me disait que ce serait fait à l’automne, mais finalement, j’ai su qu’ils n’ont même pas été en appel d’offres. Ça devrait être fait en 2024. Ça n’a pas de bon sens d’attendre quatre ans. Pourtant, par le passé, on faisait juste une demande et ça s’exécutait. Si la MRC prend du retard comme ça pour tous les producteurs, on va frapper un mur », s’inquiète-t-il.

L’agriculteur affirme qu’une résolution sera déposée à l’assemblée générale des Producteurs de grains du Québec demandant à l’organisation de faire pression sur les MRC afin d’accélérer le traitement des demandes de nettoyage des cours d’eau et de diminuer la bureaucratie. « J’ai aussi appelé le [ministère de l’Agriculture]. Ils m’ont dit qu’ils s’occupaient des champs, mais pas des cours d’eau. Ça m’a encore plus fâché! Car quand le champ ne s’égoutte pas sur plusieurs années, c’est la structure du sol qui se dégrade », affirme M. Tanguay.


Le ministère de l’Environnement a alourdi le processus, dit la MRC

Le directeur des services techniques à la MRC des Maskoutains, Matteo Giusti, est conscient que la liste des demandes de nettoyage des cours d’eau s’est allongée. La principale cause, selon lui, est le processus d’évaluation alourdi par les exigences supplémentaires du ministère de l’Environnement.

« Si on veut nettoyer les cours d’eau, on doit avoir l’autorisation du ministère, et le processus a changé depuis deux ans. Avant, ça prenait 30 jours et si on n’avait pas de réponse du ministère, on procédait. Maintenant, il faut monter un dossier incluant l’évaluation du secteur d’intervention quant à l’aspect faunique, floristique et environnemental, l’habitat du poisson, les batraciens, etc. Ça prend beaucoup plus de temps… Et ce qui ne nous aide pas, c’est que le ministère a changé beaucoup de ses formulaires en deux ans. Nos employés doivent les réapprendre chaque fois », explique-t-il.

Parfois, le nettoyage d’un cours d’eau près d’un champ implique l’analyse d’autres embranchements du cours d’eau, ce qui allonge le temps d’analyse. « C’est arrivé que le ministère ait rejeté des demandes », précise-t-il.

Pour tenter de réduire la bureaucratie associée aux demandes, Matteo Giusti mentionne que son organisation a opté, en 2023, pour un processus de déclaration de conformité plutôt qu’un processus d’autorisation générale.

L’avantage de la déclaration de conformité est qu’elle est plus rapide d’obtention et nécessite un dossier moins étoffé à présenter au ministère. Le désavantage est que l’intervention sur le cours d’eau ne peut pas dépasser 500 mètres et qu’on ne peut pas refaire une nouvelle demande touchant ce cours d’eau avant cinq ans. Nous avons donc sélectionné des cours d’eau où il était possible de faire une frappe chirurgicale sur un total de 500 mètres en réglant un maximum de problèmes.

Matteo Giusti, directeur des services techniques à la MRC des Maskoutains

Cette stratégie explique pourquoi la MRC n’a travaillé que sur 4 km en 2023, ce qui contraste avec la moyenne de 32 km de nettoyage des années 2018 à 2020, soit avant l’arrivée de la nouvelle réglementation du ministère.

Classement par priorités

Matteo Giusti ajoute que la liste de dossiers de nettoyage en attente oblige sa MRC à effectuer un classement par priorités. Si l’accumulation d’eau nuit à la sécurité publique, par exemple si elle déstabilise les sols et menace une route adjacente, le nettoyage sera jugé prioritaire.

Matteo Giusti indique que les dommages à la propriété, qui incluent des pertes de rendement, reçoivent un ordre de priorité plus élevé que les travaux de nettoyage habituels. Les producteurs doivent cependant l’indiquer dans leur demande.