Météo 4 août 2023

Des terres agricoles en voie d’être sacrifiées

L’agriculteur Christian Dionne en a assez de voir ses cultures souffrir des inondations, notamment en raison d’un cours d’eau que les autorités refusent de nettoyer. En date du 3 août, son champ de soya ressemblait plutôt à une rizière. « On n’a pas acheté des terres dans le but de les abandonner. Quand on sème au printemps, c’est pour récolter. Cette année, j’ai un champ de 29 hectares où le soya nage dans l’eau. Dans un autre champ, il y a une partie du maïs qui meurt aussi à cause de l’eau. Je commence à être ben écœuré. Il va falloir qu’il se passe de quoi », peste l’agriculteur de La Visitation-de-Yamaska, dans le Centre-du-Québec. 

Christian Dionne n’est pas le seul dans cette situation. Une dizaine d’autres agriculteurs possèdent des terres à proximité de la rivière Brielle. Cette dernière est partiellement obstruée. Ces producteurs montrent du doigt le ministère de l’Environnement du Québec, estimant qu’il empêche les travaux d’entretien du cours d’eau. Mais le dossier est beaucoup plus complexe, a appris La Terre, car la rivière Brielle se jette dans le lac Saint-Pierre, un élargissement du fleuve Saint-Laurent, désigné comme réserve mondiale de la biosphère par l’UNESCO et comme zone humide d’importance internationale, selon la convention de Ramsar.

Claude Lefebvre

Les agriculteurs veulent que la rivière Brielle soit creusée afin que l’eau circule. Le responsable de l’entretien des cours d’eau, la MRC de Nicolet-Yamaska, doit cependant obtenir les autorisations requises de toutes les autorités concernées afin de procéder aux travaux d’entretien. Or, le ministère de l’Environnement du Québec indique à La Terre que la MRC de Nicolet-Yamaska a modifié sa demande d’autorisation en février 2023 afin de retirer les travaux qui visaient la rivière Brielle. « Par conséquent, la MRC ne détient pas les autorisations requises pour procéder aux travaux d’entretien », répond Sophie Gauthier, porte-parole régionale du ministère. 

À la MRC de Nicolet-Yamaska, le préfet adjoint, Claude Lefebvre, ne se dit pas impressionné par cette réponse du ministère. « C’est facile à dire de leur part, qu’on a retiré notre demande. Depuis 2012 qu’on est sur le dossier. Le ministère trouve toutes sortes de manières de nous demander des études de ceci et de cela. On ne parle pas de creuser un nouveau cours d’eau, juste de le nettoyer! Alors on va se le dire, la volonté des ministères, c’est qu’il n’y ait plus d’agriculture dans le littoral. Point », affirme M. Lefebvre, qui est également maire de Baie-du-Febvre et lui-même agriculteur. 

Ce dernier raconte les nombreuses étapes que la MRC a tenté de franchir pour entretenir le fameux cours d’eau, disant avoir réussi à s’entendre avec le ministère de l’Environnement sur un compromis pour diminuer l’incidence des travaux sur la faune et la flore, mais le problème est maintenant plus loin. « On s’est rendu compte qu’arrivé au lac [Saint-Pierre], ça ne débouche pas. Il y a trop de sédiments. Il faut qu’on demande à Pêches et Océans Canada de permettre des travaux de dragage dans le lac, et pour eux, notre demande, c’est une fin de non-recevoir. C’est ce qui a fait que le dossier a arrêté », explique l’élu.

Trentaine de producteurs

Claude Lefebvre explique qu’une trentaine de producteurs sont aux prises avec des problèmes d’inondation des cultures dans cette section du littoral du lac Saint-Pierre. Les changements climatiques n’aident pas, mais les décisions de l’homme, comme celles de hausser le niveau du fleuve ou de ne pas permettre l’entretien des cours d’eau comme la rivière Brielle, ne donneront pas le choix aux agriculteurs de plier bagage et de sacrifier leurs terres, analyse-t-il. 

Lui-même possède une terre en littoral et remarque que la culture du soya et du maïs devient trop hasardeuse. Avec la MRC, il avait le projet de cultiver autre chose, comme de l’alpiste roseau, une plante plus résistante à l’eau et qui pourrait servir dans l’alimentation de ses vaches, mais ses essais n’ont pas été concluants. « On voulait faire un projet pilote de saule à croissance rapide pour que les producteurs récoltent au moins quelque chose, de la biomasse, mais le ministère de l’Environnement nous a dit que si on mettait des saules, on ne pourrait plus revenir avec des cultures agricoles. Je trouve ça extrêmement malheureux. Ce sont de très bonnes terres, cultivées par nos ancêtres, mais la seule solution pour les agriculteurs aujourd’hui sera peut-être de les vendre à des organismes de conservation. Il y en a qui se sont montrés intéressés à les acheter », raconte M. Lefebvre, de la Ferme Gerville. 

Christian Dionne abonde dans le même sens. « Ceux qui prennent les décisions sont dans des bureaux et ne sont imputables de rien. C’est un peu ça, le problème. Le risque financier et le gaspillage des cultures, c’est nous autres qui l’avons. S’ils veulent continuer de même, qu’ils nous achètent ou sinon qu’ils nous [laissent tranquilles]! » clame l’agriculteur.

L’agriculture en cause

Des agriculteurs près de la rivière Brielle subissent des pertes de cultures importantes en raison de l’eau qui s’accumule sur leurs terres, une situation entre autres causée par une accumulation de sédiments provenant en partie… de l’agriculture. Selon plusieurs documents disponibles sur le site du ministère de l’Environnement, le milieu agricole lui-même est l’une des principales causes de sédimentation dans le secteur du lac Saint-Pierre. On peut y lire que les pratiques agricoles ont évolué vers les cultures de maïs et de soya, pour lesquelles le sol est plus souvent laissé à nu, comparativement aux cultures de plantes fourragères plus populaires à l’époque. Or, les matières en suspension venant des terres en culture, de l’érosion des rives ou de divers effluents ont dégradé les habitats de la faune et la flore et nuit à la reproduction des poissons, comme la perchaude, ainsi qu’à la nidification de la sauvagine et des oiseaux champêtres. Devant l’ampleur de la baisse des populations de perchaudes, Québec a décrété, en 2012, un moratoire interdisant la pêche à la perchaude. Ce moratoire a été dernièrement reconduit jusqu’en 2027.