International 4 mars 2024

Un géant américain vend des fraises produites au Québec

Des fraises et des framboises cultivées au Québec pour le géant américain Driscoll’s font tranquillement leur apparition dans des épiceries de la province. Si certains producteurs y voient une occasion d’affaires intéressante, d’autres sont craintifs à l’idée que des fruits emballés à l’effigie de l’entreprise californienne avec la mention « Récolte Québec » fassent concurrence aux marques de commerce qu’ils ont eux-mêmes développées. 

« S’ils viennent produire ici pour vendre sur la côte nord-est américaine, il n’y en a pas de problème […], mais si c’est pour faire compétition à notre produit [de marque Les Fraîches du Québec], ça m’inquiète un petit peu », a signalé le président sortant de l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ), Michel Sauriol, dans un discours prononcé en assemblée générale annuelle, le 19 février.

Plusieurs fermes du Québec ont testé, au cours des cinq dernières années, des variétés de fraises, de framboises et de mûres développées et fournies par Driscoll’s, dans l’optique d’approvisionner des marchés américains tels que New York et Boston. Certains producteurs, dont André Gosselin, à l’île d’Orléans, se sont finalement retirés du projet lorsqu’ils ont appris que la vente de petits fruits dans les supermarchés du Québec était aussi envisagée par l’entreprise californienne.  

« Je ne pouvais pas avoir deux chapeaux », affirme celui qui vend ses produits sous la marque Les Fraises de l’île d’Orléans.

Ça fait trois ans qu’on a arrêté les essais. […] J’ai eu une très belle expérience avec eux. Ils ont de très belles variétés, mais je ne pouvais pas me retrouver dans le même magasin avec deux marques de commerce.

André Gosselin

Pour sa part, un producteur de Lac-des-Écorces, dans les Hautes-Laurentides, Jérémie Pitre, ne voit pas d’inconvénients à produire pour Driscoll’s en plus de commercialiser ses fruits sous la marque Les Fraîches du Québec. « À la fin, c’est moi qui vais les avoir produits. Ça va être écrit que c’est produit ici, au Québec. Ça encourage l’économie locale », fait valoir celui qui s’associe surtout à l’entreprise pour ouvrir ses horizons sur les marchés d’exportation et pour tirer profit d’une expertise reconnue mondialement.   

Michel Sauriol redoute tout de même que des petits fruits Driscoll’s prennent ultimement une place importante sur le marché québécois déjà bien desservi en haute saison, surtout du côté des fraises. 

Demande de mettre en évidence la provenance locale

Chez Sobeys, la porte-parole Anne-Hélène Lavoie confirme que des fraises et des framboises du fournisseur Driscoll’s produites au Québec ont été commercialisées à l’été 2023 dans quelques magasins IGA, mais souligne que les quantités étaient minimes. Elle insiste sur le fait que les producteurs locaux seront toujours priorisés et que des marques telles que Les Fraîches ne perdront jamais d’espace en magasin. 

En ce qui a trait plus particulièrement aux paniers de fraises sur lesquels la mention « Récolte Québec » était jugée trop peu visible en 2023, Sobeys a demandé à Driscoll’s que l’autocollant soit grossi et qu’une fleur de lys soit ajoutée, afin que la provenance du Québec soit évidente pour le consommateur.  

Driscoll’s n’avait pas répondu aux questions de La Terre au moment d’écrire ces lignes.

Sobeys a demandé à Driscoll’s que l’autocollant soit grossi et qu’une fleur de lys soit ajoutée, afin que la provenance du Québec soit évidente pour le consommateur. Photo : Gracieuseté

Un partenaire et non une menace

Le producteur Jérémie Pitre, de Lac-des-Écorces, dans les Hautes-Laurentides, qui teste à sa ferme des variétés de fraises, de framboises et de mûres développées par Driscoll’s, estime qu’il ne faut pas voir cette entreprise américaine comme une menace, mais plutôt comme un partenaire « facilitateur » vers les marchés d’exportation. 

« Ce n’est pas une compétition; c’est un marchandiseur qui développe des variétés. […] C’est un autre client qui va peut-être nous permettre d’en faire plus et d’être plus compétitifs à long terme pour en envoyer aux États-Unis et ailleurs », explique celui qui ne produit pour l’instant que de petites quantités de fruits issus de plants qu’il achète de Driscoll’s. Sa récolte, dont il assume les coûts de production et qu’il emballe dans les boîtes prévues à cet effet, est ensuite revendue à l’entreprise américaine, qui s’occupe de la distribution à travers son réseau. 

« Quand quelqu’un vient de l’extérieur avec de nouvelles variétés […] ça peut intimider certains producteurs, mais on peut le voir aussi d’un côté positif. Ça peut pousser notre industrie à se transformer vers quelque chose de meilleur ou à voir ce qui se fait ailleurs dans le monde », estime celui qui aime se coller au savoir-faire de leaders mondiaux en matière de développement variétal.

« Ce qui est cool aussi, c’est que ça t’ouvre des portes partout dans le monde. Tu peux apprendre d’autres producteurs qui produisent pour Driscoll’s. C’est le partage de connaissance qui est intéressant », soulève le producteur.