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Il y a quelques années, quand la chef Maurín Arellano s’est présentée dans une ferme québécoise pour y acheter du maïs, son regard a aussitôt été attiré par des épis grisâtres et difformes. « La fermière m’a dit : ‘‘Oh, ne prends pas ça, ils sont malades!’’ Mais moi, j’étais super contente. Au Mexique, c’est notre truffe! » s’exclame la propriétaire du restaurant Vivace, à Montréal. Cette dernière est repartie avec la cargaison, trop heureuse de faire découvrir ce délice qu’est le huitlacoche à sa clientèle québécoise.
On doit ce mets à un champignon appelé « charbon commun du maïs », qui se développe sur le maïs sucré et le maïs-grain, et qui attire de plus en plus l’attention au Québec.
Fernande Ouellet, propriétaire de la ferme d’élevage Rusé comme un canard, se passionne pour l’aliment. Elle a découvert le huitlacoche dans un restaurant de New York, il y a cinq ans. À son retour, elle a poursuivi ses recherches et a réalisé que ce champignon est essentiellement présent dans les champs de producteurs bio ou d’agriculture raisonnée. « Pas question pour eux d’utiliser des antifongiques, alors aussi bien qu’ils soient récompensés pour leurs efforts en vendant leurs produits à meilleur prix », dit-elle.
En 2018, elle a décidé de créer la page Facebook Mangeons les nuisibles pour connecter vendeurs et acheteurs et aider à l’identification. Car le huitlacoche, au grand dam de Maurín Arellano, est encore peu connu par ici, tant des agriculteurs que des consommateurs.
La chef propose d’ailleurs chaque été un menu 100 % huitlacoche, où il est décliné tant en mets salés que sucrés. Parmi les quelques chefs cuisinant l’aliment, on compte le copropriétaire du restaurant montréalais Alma, Juan Lopez Luna, d’origine mexicaine, de même que les réputés Simon Mathys, du Mastard, à Montréal, et Fisun Ercan, de Bika, ferme et cuisine, à Saint-Blaise-sur-Richelieu.
Un goût assez doux
Le goût du huitlacoche, selon Yvan Perreault, président du Cercle des mycologues de Lanaudière et de la Mauricie, est à mi-chemin entre le maïs et le champignon.
« C’est assez doux », explique celui qui, pour le faire découvrir, organisera l’an prochain une première sortie de mycologues amateurs dans un champ de maïs.
Le huitlacoche a la particularité de ne se conserver que deux jours au réfrigérateur. Il faut donc le cuisiner rapidement. Certains chefs l’ajoutent en garniture, comme le fait Juan Lopez Luna, avec des pâtes cacio e pepe. « C’est plus difficile à prononcer – huitlacochÉ – qu’à cuisiner! C’est pareil comme des champignons », explique Fisun Ercan, qui en propose une recette dans son dernier livre.
Selon la région, le défi est aussi de pouvoir se procurer cette rareté, et à bon prix.
« Des gens ont demandé jusqu’à 24 $ la livre, avec l’épi », s’insurge Juan Lopez Luna. Cela dit, Fisun Ercan, en Montérégie, le reçoit carrément en cadeau des agriculteurs qui ne savent pas quoi en faire.
Pour plusieurs agriculteurs, plutôt que de le vendre, il est plus simple d’offrir le huitlacoche à leurs travailleurs mexicains. C’est ce que fait Christine Rivest, de la Ferme Guy Rivest, à Rawdon, dans Lanaudière. « Ils sont super contents », dit-elle.
Les causes
Selon le Réseau d’avertissement phytosanitaire, le charbon commun est un champignon parasitaire dont l’une des principales causes sont les lésions en surface du maïs. Il engendre généralement peu de dommages et de pertes de rendement, mais il est plus fréquent par temps chaud, de même que sur les cultures trop fertilisées. Il est aussi moins fréquent dans les hybrides de maïs en grandes cultures.
Du champ à l’assiette
Le huitlacoche doit être cueilli lorsqu’il est blanc grisâtre, et non noir. Il doit reprendre sa forme lorsque pressé du doigt. Si le huitlacoche peut se développer sur du maïs-grain, la chef Maurín Arellano n’utilise que celui tiré du maïs sucré, dont elle préfère le goût. En cuisine, plusieurs personnes le font simplement revenir à la poêle avec ail et oignons, parfois du vin blanc. Pour la conservation, il est impossible de le déshydrater. Certains chefs en font une sauce qui ressemble à l’encre de seiche, qu’ils congèlent par la suite.
Du huitlacoche en kiosque
Parmi les rares qui le commercialisent, on compte la Ferme Teasdale et Fils, de Saint-Mathieu-de-Belœil, qui en vend notamment à son kiosque depuis trois ans. Fournissant le restaurant Vivace de Maurín Arellano pour le menu « spécial huitlacoche », cette ferme a envie de faire connaître cet aliment. « J’en mets sur les étalages, et les gens me posent des questions, raconte Marie-Eve Bilodeau, conjointe du propriétaire. Je prépare aussi des plats pour faire goûter. Les gens sont très intéressés. Il faut juste expliquer. »
Teasdale et Fils vend son huitlacoche deux fois le prix du maïs régulier et se départit facilement de sa production, tant auprès des chefs que des consommateurs, et ce, de toute origine. Environ 100 douzaines ont trouvé preneurs cette année. « Avec l’année de pluie qu’on a connue, on en a eu beaucoup! » dit Marie-Eve Bilodeau. Elle vend aussi via Marketplace et contacte directement son réseau. « Je les avise quand il y en a et ils viennent le chercher. »