Insolite 25 juin 2023

Il crée la première serre de plantes carnivores au Québec

SAINT-JEAN-PORT-JOLI – À ranger dans la même catégorie que les araignées, les serpents et les chauves-souris, les plantes carnivores font partie de ces créatures qui suscitent un mélange de crainte et de fascination. À des lieues de l’image sensationnaliste véhiculée dans le cinéma et la littérature, l’univers de ces plantes n’en est pas moins captivant et certains collectionneurs sont prêts à dépenser de jolies sommes pour acquérir des spécimens plus rares. Un passionné a flairé la bonne affaire en inaugurant la première serre commerciale spécialisée dans les plantes carnivores au Québec.

En entrant dans la petite serre de Paolo Pipia, on reste étonné par les formes insolites de ses pensionnaires, très différentes des espèces qu’on retrouve habituellement dans les jardineries. Drosera spatulata poilues comme des chenilles, Nepenthes ventrata aux fleurs en forme d’amphores, mignonnes Pinguicula aux pétales en pâte d’amande, Dionaea muscipula à l’allure aussi vorace qu’un crocodile. Curieuse jungle! « Certaines poussent à l’état naturel en Australie, en Indonésie, en Europe ou dans les Amériques. Il y a que l’Antarctique qui n’est pas représenté ici », lance le propriétaire des Serres de Paolo, qui s’est lancé dans la culture de plantes carnivores en 2019.

Ça me fascine de voir comment ces plantes ont modifié leurs feuilles pour capturer des insectes afin de s’adapter à un environnement pauvre en nutriments.

Paolo Pipia

Aujourd’hui, ce vétéran des Forces armées canadiennes produit 250 variétés, dont 15 pour le marché commercial des pépiniéristes, des jardineries et des fleuristes. Ce marché de niche a beaucoup de potentiel, croit-il. « J’ai 10 000 plantes carnivores en stock et je ne fournis pas. Des milliers de sarracenias sont déjà partis cette année et j’ai déjà vendu toute ma production d’hiver de dionées attrape-mouche. Et je suis passé d’un employé à temps plein à deux à temps plein et deux à temps partiel. »

Une occasion d’affaires

Son projet a pris forme par un heureux concours de circonstances. Après 23 ans dans les Forces armées canadiennes, Paolo Pipia a réalisé un stage de transition à la vie civile de six mois en faisant du bénévolat au Paradis Jardins & accessoires de Québec. « Un matin, je suis entré au travail et j’ai vu une Drosera spatulata. J’en ai acheté une parce que ça me ramenait à mes ­souvenirs d’enfance. Plus jeune, j’avais déjà possédé une dionée attrape-mouche. Rapidement, j’ai développé un intérêt pour cet univers et je me suis mis à les collectionner. »

Paolo Pipia a constaté que l’approvisionnement était difficile puisque les produits provenaient exclusivement de l’étranger ou d’autres collectionneurs et que les jardineries avaient une offre assez limitée. « J’ai donc commandé des semences de partout dans le monde et j’ai fait des tests dans mon sous-sol. J’ai vu la possibilité d’offrir des plantes au commerce où je faisais mon bénévolat. »

Rapidement, sa production a grossi au point de l’inciter à bâtir à l’été 2022 une petite serre dans le parc industriel de Saint-Jean-Port-Joli, où il est désormais établi. L’entrepreneur songe déjà à la suite des choses. L’ouverture d’un laboratoire en juillet lui permettra d’accélérer et de décupler sa production, puisque présentement, il procède principalement par germination, bouture ou importation. « De cette façon, je deviendrai autonome et je pourrai créer des milliers de plantes à partir de quelques cellules », indique-t-il.  

Ultimement, ce projet va rendre plus accessibles certaines variétés difficiles à produire par germination ou bouturage comme l’Heliamphora ‘Flamingo’, qui provient d’Amérique du Sud. « Un collectionneur qui peut payer aujourd’hui 700 $ sur le marché des particuliers pourra s’en procurer une pour moins de 100 $ grâce à la reproduction in vitro. »

Insolite nature

Il suffit de s’entretenir quelques minutes avec l’homme pour comprendre à quel point le sujet le passionne. La remarque le fait sourire. « Ça me fascine de voir comment ces plantes ont modifié leurs feuilles pour capturer des insectes afin de s’adapter à un environnement pauvre en nutriments. La manière dont les plantes carnivores s’y prennent pour leurrer les insectes varie beaucoup d’une espèce à l’autre. » Le serriste explique que certaines sont dotées de mâchoires ou d’urnes semblables à des labyrinthes, alors que d’autres secrètent une glu ou encore aspirent leurs proies dans le sol par le moyen de capsules. « En même temps, leur tige pousse assez haut pour éviter que les pollinisateurs se fassent attraper. C’est impressionnant! »

Public varié

Paolo Pipia observe qu’un large spectre de gens ­s’inté­­resse aux plantes carnivores, des enfants jusqu’aux personnes âgées. « L’autre jour, un enfant de six ans est venu accompagné de sa mère pour remplir son aquarium, raconte-t-il. Ils ont passé deux heures à la boutique pour créer une petite jungle dans son bocal. Ça a coûté cher à la maman, mais le petit a tripé au boutte. »

Certains s’intéressent aussi à leur potentiel pour le contrôle des nuisibles. Son entreprise a d’ailleurs été approchée par un propriétaire d’écurie qui souhaite trouver une solution de rechange aux pièges jaunes collants. « Il aimerait installer une petite tourbière de sarracenias – une espèce indigène du Québec – près de son écurie pour attraper les mouches. C’est une technique qu’on pourrait potentiellement implanter autour de n’importe quel bâtiment où les mouches peuvent être ­problématiques. »

Des plantes carnivores pour lutter contre un tueur d’abeilles

En France, des scientifiques s’intéressent aux propriétés de la sarracenia afin de combattre le frelon asiatique, une espèce exotique envahissante qui détruit les ruches d’abeilles. En 2014, un expert du Jardin botanique du muséum de Nantes a découvert par hasard que cette plante originaire d’Amérique du Nord attirait les frelons asiatiques grâce à son odeur pour ensuite les emprisonner et les digérer dans ses feuilles en forme d’urne, tout en épargnant les abeilles. Des chercheurs testent différentes variétés de sarracenias afin de déterminer quelle combinaison d’odeur et de couleur est la plus efficace. Ils pourraient s’en inspirer dans le but de développer un piège artificiel.