Forêts 15 septembre 2023

Le fermier de la forêt

Il y a déjà sept ans que Stéphane Lamana a entrepris le développement de sa ferme… en forêt, une exploitation baptisée La Manne à Menoum, un nom insolite à l’image du concept développé par le promoteur forestier.

« Il y a des milliers d’hectares de forêt qui peuvent contribuer à développer notre autonomie alimentaire », explique le propriétaire d’une forêt de 24 hectares à proximité de la rivière Saint-Maurice, à Grandes-Piles en Mauricie.

En ce moment, Stéphane Lamana exploite environ 2 % de sa propriété selon les principes de la permaculture. Ainsi, en ce début de septembre, le fermier des bois a déjà abondamment puisé dans son potager, fait la cueillette dans ses arbustes fruitiers et a commencé à récolter des champignons forestiers.

Stéphane Lamana a entrepris son aventure en permaculture forestière il y a sept ans dans une forêt de 24 hectares à Grandes-Piles, en Mauricie. Photo : Pierre Saint-Yves

Son aventure en agroforesterie a commencé en 2016 avec l’achat de sa forêt dont il a aussitôt entrepris l’aménagement, d’abord avec la construction d’un chemin d’accès. 

« Et tout ça, sans financement », précise-t-il. 

Dès le départ, il a financé ces travaux par la vente de bois récolté dans sa forêt et de miel produit par ses abeilles et par la cueillette de champignons. Il a d’ailleurs développé une expertise en matière de mycologie, ce qui lui a permis d’offrir des ateliers d’initiation à des amateurs de champignons du Québec et de l’étranger. Il a ainsi reçu près d’un millier de personnes sur sa propriété.

C’est alors qu’a émergé l’idée d’offrir ses ateliers couplés à de l’hébergement dans un camping projeté en forêt. Mais le projet a été court-circuité par une certaine pandémie. L’idée a donc été abandonnée. 

Ça ne l’a pas empêché de poursuivre ses travaux, notamment avec l’aménagement de terrasses soutenues par des restanques et sur lesquelles poussent maintenant arbres et arbustes fruitiers, dont des vignes.

Un modèle à créer

Stéphane Lamana reconnaît que son projet requérait d’abord beaucoup… d’audace.

J’ai voulu faire réaliser un plan d’aménagement qui tienne compte de mes projets de ferme forestière, mais les plans ne correspondaient pas au genre d’exploitation que je voulais faire. Il n’y avait pas de modèle. Donc, j’en ai fait un.

Stéphane Lamana

Pour y parvenir, il a d’abord entrepris de se documenter afin de concevoir les aménagements les plus efficaces et les mieux adaptés à sa situation : réseau de rigoles, baissières, bassins, étang de retenue pour décantation, terrasses de culture.

« Dès la première année, j’ai aménagé un bassin en forme de fer à cheval, et j’ai implanté un potager au centre. La masse thermique provenant de l’étendue d’eau, jumelée à la position de ma forêt presque au centre de la rivière, font en sorte de retarder le gel. C’est ce qui fait que j’ai récolté des tomates assez tard à l’automne. »

Simultanément, il a entrepris la plantation de 400 arbres et arbustes fruitiers : pommiers, pruniers, poiriers, camérisiers, groseillers à maquereau, amélanchiers, sureaux et arbres à noix.

« Je cultive par strates, c’est-à-dire du plus petit au plus grand pour tirer le maximum de l’ensoleillement », explique le producteur. « Je cherche à favoriser la biodiversité dans mes plantations dans le but d’obtenir une diversité fonctionnelle. J’ai des arbres dont les racines creusent le sol, d’autres dont le racinage est plus en surface. Ils ont tous des fonctions différentes. »

La conjointe de Stéphane Lamana, Isabelle Bussière, fait la récolte de légumes du potager implanté au milieu des bassins construits sur la propriété. Photo : Pierre Saint-Yves

Transmettre sa passion

À la toute fin du mois d’août, par un samedi pluvieux, Stéphane Lamana a accueilli sur son domaine une dizaine de propriétaires forestiers de la région dans le cadre d’une journée de formation organisée avec le Syndicat des producteurs de bois de la Mauricie. L’hôte a alors entrepris d’expliquer sa démarche, de parler des épreuves qu’il a dû surmonter et de suggérer des moyens de les éviter, puis, une fois la pluie terminée, il a proposé une visite de son exploitation. 

« Je ne veux pas dire aux producteurs comment reproduire le modèle que j’ai implanté parce que c’est presque impossible d’avoir un modèle unique », dit-il. « Je veux surtout faire comprendre qu’il faut savoir adapter, faire des aménagements en fonction des particularités de chaque territoire pour en tirer le maximum des ressources disponibles. Le but est de faire en sorte de mieux exploiter tout ce territoire forestier pour y faire de la culture. »

Son modèle, il a d’ailleurs eu l’occasion de le décrire à différentes tribunes, notamment avec une présentation au 5e Congrès mondial d’agroforesterie qui s’est tenu à Québec l’an dernier, et la même année à l’occasion du colloque Mycorhizes du Centre d’étude de la forêt de l’Université Laval.

« Mon but est de transmettre ce que j’ai appris de mes expériences et de permettre à d’autres d’éviter les erreurs que j’ai commises. »

Et des expériences, le fermier forestier continue à en faire sur sa propriété dont le développement se poursuit.


Père et fils en quête de méthodes

Jean-Pierre et Alain Boulan. Photo : Pierre Saint-Yves

Les propriétaires forestiers Alain et Jean-Pierre Boulan, père et fils, étaient au nombre des participants à la formation donnée chez Stéphane Lamana à la ferme forestière La Manne à Menoum, de Grandes-Piles.

Alain Boulan est propriétaire à Trois-Rivières d’une terre de 28 hectares dont les trois quarts sont en forêt et qu’il exploite avec son fils. Tous deux sont à la recherche de nouvelles façons de tirer profit de la propriété.

« Notre objectif est de mieux exploiter les ressources de cette forêt », explique Jean-Pierre Boulan. « On ne veut pas en vivre, mais on souhaiterait en tirer un petit revenu qui nous permettrait de l’entretenir et de payer les taxes. »

Déjà, le tandem a retiré de la forêt une soixantaine de cordes de bois de quatre pieds qui ont été expédiées dans une usine de pâte et papier de la région. Il y a aussi la petite érablière d’une soixantaine d’entailles et les deux ruches qui ont été installées cette année et qui ont déjà donné plus de 70 livres de miel.