Fertilisation 14 mars 2024

L’eau, l’alliée indispensable des engrais

« Tu as beau avoir mis la meilleure dose d’engrais possible, y aller avec précision, varier ta dose au champ, s’il n’y a pas d’eau, la plante ne sera pas capable d’aller chercher les éléments nutritifs dont elle a besoin », explique d’entrée de jeu Carl Boivin, agronome à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). 

« Je donne souvent en exemple l’image du diagramme de Venn avec trois cercles qu’on superpose le plus possible. Ça prend des éléments nutritifs produits par les engrais, de l’eau et des racines au même endroit et en quantité optimale. » – Carl Boivin

Le chercheur qui travaille sur la gestion de l’eau depuis une quinzaine ­d’années souligne que ce principe élémentaire devrait toujours guider un producteur qui veut maximiser le potentiel des fertilisants enfouis dans le sol.

« Il faut se demander où va l’eau dans le champ. Si on est capable de mettre l’engrais à l’endroit où il y a de l’eau et où se trouvent les racines, c’est la meilleure façon d’améliorer l’efficacité d’un système », précise Carl Boivin, qui ne manque jamais de rappeler dans ses conférences qu’une plante agit bien plus comme une pompe que comme un aspirateur.

« Pour un kilogramme de tomates produites en champ, on doit utiliser 60 litres d’eau, sans parler des nombreux passages de tracteurs. Dans une serre, il nous faudra 15 litres d’eau pour des rendements cinq fois supérieurs. »  — Corenthin Chassouant

Au fil de ses travaux avec la chercheuse Christine Landry, Carl Boivin a notamment étudié le cas de la fraise, une culture habituellement irriguée au goutte à goutte et protégée par un paillis de plastique, avec des engrais granulaires généralement appliqués au printemps dans l’ensemble de la butte. 

Par la façon dont ses feuilles se développent autour d’un axe central, la fraise agit comme un entonnoir, c’est-à-dire qu’une partie de l’eau de pluie converge vers la tige du plant, mais le reste est détourné dans l’entre-rang à cause du paillis. Avec le système d’irrigation goutte à goutte, l’eau se concentre au centre de la butte alors que le système racinaire s’est étendu à la grandeur du sol. 

« En défaisant des buttes à l’automne, on s’est rendu compte que 40 à 50 % des engrais étaient dissous au centre, mais le reste dans les épaules du monticule était toujours en place parce qu’il n’y avait pas eu d’eau pour aller les chercher », rapporte Carl Boivin, qui souligne que dans ce cas-ci, même si le travail de mécanisation peut complexifier l’opération, le potentiel des engrais serait optimisé si on les concentrait au centre de la butte, là où est concentrée l’humidité.

« Je donne souvent en exemple l’image du diagramme de Venn avec trois cercles qu’on superpose le plus possible. Ça prend des éléments nutritifs ­produits par les engrais, de l’eau et des racines au même endroit et en ­quantité optimale », compare Carl Boivin. 

Le chercheur souligne, par exemple, l’incongruité d’un producteur qui sèmerait à la volée des engrais dans un champ avant de travailler le sol. « En faisant ça, on fait l’hypothèse que les racines vont aller chercher 100 % du volume du sol travaillé et que l’eau va humidifier 100 % de ce sol-là. Ce qui n’est ­évidemment pas toujours le cas. »

Corenthin Chassouant, directeur des ventes et du développement des affaires chez Industries Harnois

Culture en serre

L’interaction entre les engrais, l’eau et les racines ne peut être mieux gérée que dans un environnement contrôlé comme celui de la culture en serre. Avec les enjeux reliés à la gestion de l’eau en milieu agricole, dans un contexte de changement climatique, et avec le prix des engrais à la hausse, cette avenue demeure la solution la plus performante en termes de rendement et d’économie, lorsqu’évidemment la situation le permet. 

« Pour un kilogramme de tomates produites en champ, on doit utiliser 60 litres d’eau, sans parler des nombreux passages de tracteurs. Dans une serre, il nous faudra 15 litres d’eau pour des rendements cinq fois supérieurs. La culture en serre est beaucoup plus précise avec les systèmes d’irrigation, que ce soit avec des installations goutte à goutte ou hydroponiques », explique Corenthin Chassouant, directeur des ventes et du ­développement des affaires pour les Industries Harnois.

Avec une installation hydroponique, par exemple, on pourra même recycler le liquide passé au travers du substrat de culture des plants. « Après avoir vérifié son électro-­conductivité, on va réintroduire ce lixiviat dans le système de fertilisation en y ajoutant la dose d’engrais nécessaire et en ajustant son pH. Dans une culture en serre comme celui-là, on parle d’une économie d’eau d’environ 90 % par rapport à la culture traditionnelle », ­mentionne l’agronome. 

L’un des enjeux de la culture sous serre est relié à la qualité de l’eau utilisée dans le ­système d’irrigation. Les engrais dissous dans l’eau produisant un liquide salin, son recyclage nécessite alors un traitement en amont. « Ça peut être avec un système d’osmose inversée ou des filtres UV pour éliminer les germes », poursuit Corenthin Chassouant. 

De plus, l’utilisation en serre de capteurs sur les plants donnant une multitude ­d’informations, notamment sur la pression dans le substrat, l’interaction entre l’eau et les engrais peut être poussée à un niveau supérieur. « Les nouvelles technologies permettent de mieux anticiper les besoins en eau et conséquemment, d’arriver à une consommation plus efficace des engrais », ­termine-t-il.