Faits divers 27 mai 2024

Le vol d’identité d’une ferme toujours pas réglé deux ans plus tard

Près de deux ans après avoir signalé à la police que le nom de sa ferme avait été usurpé pour frauder des chercheurs d’emploi à l’étranger, un producteur laitier du Centre-du-Québec, Jean-Guy Beaudet, se désole de constater que rien n’est réglé. Un faux site Internet à l’effigie de son entreprise à partir duquel on promet du travail au Canada en échange de versements de milliers de dollars est toujours en activité. 

« On se sert de nous autres. On se sert de notre nom pour frauder du monde. C’est vraiment terrible », s’insurge le copropriétaire de la Ferme Ste-Sophie, située à Sainte-Sophie-de-Lévrard.

En octobre 2022, La Terre rapportait que de fausses annonces empruntant l’identité d’entreprises québécoise circulaient sur le Web pour arnaquer des chercheurs d’emploi à l’étranger, notamment aux Philippines. Le Centre antifraude du Canada avait confirmé être au fait du stratagème, mais avait précisé ne pas mener d’enquête. Les autorités policières fédérale et provinciale ont indiqué, quant à elles, ne pas divulguer d’informations sur des enquêtes en cours.

Il y a deux ans, Jean-Guy Beaudet a signalé à la police l’existence du site frauduleux www.fermestesophieinc.ca, qui utilise le nom et l’adresse de sa ferme, avec un numéro de téléphone qui n’est pas le sien, pour frauder des chercheurs d’emploi à l’étranger. La page existait encore, le 22 mai.

« On avait alerté la police, mais on s’était fait dire qu’il n’y avait pas grand-chose à faire, parce que les sites sont à l’étranger », raconte M. Beaudet.

Près de deux ans après le signalement, il constate que la page www.fermestesophieinc.ca, qui se présente sous le nom de sa ferme et qui affiche son adresse, existe encore. Le site présente la Ferme Ste-Sophie comme étant productrice maraîchère, alors qu’il s’agit plutôt d’une entreprise laitière.

« On ne l’a pas resignalé à la police, parce qu’on s’est dit que ça ne servait à rien, mais on ne sait pas quoi faire pour faire fermer ça », indique avec découragement le producteur, impuissant.

Il y a environ un an, il raconte avoir été contacté par courriel par un Africain qui affirmait avoir payé 2 000 $ en échange d’un prétendu emploi à sa ferme. « On lui a dit qu’on ne l’avait jamais engagé. On suppose qu’il a trouvé nos vraies coordonnées en fouillant sur Internet. Il devait trouver que tout ça était louche. »

Les autorités devraient en faire plus, selon un expert

Selon Benoît Dupont, professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cyberrésilience, les autorités devraient en faire davantage lorsque survient ce genre de cas de vol d’identité sur Internet.

« Le gouvernement du Québec ne fait rien, le gouvernement fédéral, pas grand-chose non plus et les services de police n’ont pas de ressources… On est rendu à un moment où on doit se demander pourquoi les autorités n’en font pas plus », questionne l’expert en cybersécurité. Il se désole aussi que peu d’information soit accessible en ligne, expliquant les démarches à suivre en pareille situation.

« On ne peut pas s’attendre à ce qu’un producteur sache quoi faire dans ce genre de situation très compliquée et qui ne doit pas lui arriver souvent », plaide-t-il.

La compagnie ontarienne Tucows, qui a vendu l’adresse www.fermestesophieinc.ca sans savoir que c’était à des fins de fraude, affirme de son côté collaborer à une enquête de la Gendarmerie royale du Canada concernant une escroquerie au Québec similaire à celle vécue par la Ferme Ste-Sophie. On ignore toutefois s’il s’agit du même cas.

Des démarches complexes et possiblement vaines

Une personne dont l’identité est usurpée de la sorte, dit le professeur Benoît Dupont, peut entreprendre ses propres démarches pour faire fermer le site frauduleux en retrouvant l’entreprise qui a vendu l’URL. Il n’est pas garanti, toutefois, que la démarche fonctionnera. 

« Pour identifier le vendeur, on va sur des registres en ligne permettant d’obtenir de l’information sur une adresse IP ou un identifiant du domaine Internet », dit l’expert en cybersécurité. Il suggère ensuite de contacter le vendeur par l’entremise de son système de plainte, affirmant en revanche qu’il se peut que l’entreprise soit peu réactive aux messages. 

La Terre a testé la démarche. C’est la compagnie ontarienne Tucows qui a vendu l’adresse www.fermestesophieinc.ca sans savoir que c’était à des fins de fraude. L’entreprise a confirmé avoir reçu notre signalement.

« Si des preuves d’abus sont trouvées, Tucows peut et va agir. Historiquement, lorsqu’un abus est prouvé, les actions que nous entreprenons incluent la suspension de l’adresse », a précisé la responsable des communications, Madeleine Stoesser. En date du 22 mai, le site www.fermestesophieinc.ca existait encore.