Environnement 11 octobre 2023

Northvolt : les agriculteurs redoutent un passe-droit du gouvernement Legault

LA PRAIRIE – La nouvelle usine de batteries Northvolt et le désir du gouvernement Legault d’avancer rapidement dans son implantation inquiètent les agriculteurs de la Montérégie réunis en assemblée générale annuelle, le 5 octobre, à La Prairie.

Le président de la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Jérémie Letellier, a rappelé que, depuis 2017, le gouvernement a procédé par décret pour implanter différents projets en zone agricole, dont le parc industriel Alta à Coteau-du-Lac (164 ha de terres agricoles) et le centre de données de Google à Beauharnois (94 ha). Il craint que le gouvernement Legault soit de nouveau tenté d’utiliser un passe-droit pour éviter de soumettre le projet Northvolt à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ).

On veut que [le processus] soit suivi à la lettre, ce qui inclut un BAPE [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement] et une audience devant la CPTAQ. […] Une série de décrets, c’est ma plus grande crainte.

Jérémie Letellier, président de l’UPA Montérégie

Au cours de l’assemblée, les discussions sur le sujet ont été alimentées par une information de Radio-Canada selon laquelle 70 hectares de terres cultivables devraient être dézonés pour la deuxième phase de l’usine, ce que Northvolt nie catégoriquement. « L’information de Radio-Canada est inexacte; il n’y a pas de terres agricoles sur les lots dont on a fait l’acquisition. […] Ce sont des lots zonés industriel et multi-usage. […] Les terrains qu’on a achetés sont suffisants pour les deux phases du projet », a expliqué à La Terre le porte-parole de Northvolt North America, Laurent Therrien.

Par contre, tous les terrains qui restent autour des superficies achetées par cette compagnie sont zonés agricoles. Une troisième phase d’agrandissement pourrait faire appel à ces terres. « Mais ce n’est pas prévu; on parle d’une décennie avant qu’on soit rendus là », nuance M. Therrien.

Projection de la future usine de Northvolt présentée lors d’une séance d’information organisée par la Ville de Saint-Basile-le-Grand, le 2 octobre. Photo : YouTube/Saint-Basile-le-Grand
Projection de la future usine de Northvolt présentée lors d’une séance d’information organisée par la Ville de Saint-Basile-le-Grand, le 2 octobre. Photo : YouTube/Saint-Basile-le-Grand

Jérémie Letellier a fait valoir, pendant l’assemblée, que les quelque 3 000 emplois créés par la méga-usine exerceront d’importantes pressions d’urbanisation sur le milieu agricole pour développer, entre autres, les routes et les lieux de résidence nécessaires.

Perte de confiance

Pour l’agriculteur Glenn Switzman, le dossier semble malheureusement déjà réglé. « Comment tu peux penser négocier avec un gouvernement qui ne veut rien savoir? Ils ont déjà pris leur décision […]. C’est un gouvernement de décrets, des hypocrites, car ils veulent la souveraineté alimentaire, mais vont donner nos terres partout. C’est beaucoup de la bullshit pour moi », a dénoncé celui qui représente les producteurs anglophones au sein de la fédération régionale.

Fini le papier en Montérégie! Tous les documents de l’assemblée des producteurs deviennent seulement disponibles en ligne. Chaque délégué a plutôt reçu un plant d’arbre ou d’arbuste sur lequel se trouve un code QR menant directement aux documents.

Un de ses collègues a simplement demandé aux représentants syndicaux d’enjamber le gouvernement et de plutôt demander une rencontre directement avec les dirigeants de Northvolt. Cet agriculteur estime qu’étant une compagnie scandinave de bonne réputation, elle prêterait peut-être une oreille plus attentive à la question environnementale et au respect des terres agricoles.

Et l’eau?

La productrice Catherine Lefebvre a quant à elle dénoncé la stratégie du gouvernement de ne pas soumettre le projet Northvolt au BAPE. Il s’agit d’une grave erreur de ne pas évaluer les conséquences de la future usine de batteries sur les nappes phréatiques, a dit celle qui est également présidente de l’Association des producteurs maraîchers du Québec.

Elle a évoqué la situation de cinq fermes dans la région de Mirabel qui font actuellement face à un grand problème : l’eau qu’elles utilisent pourrait être contaminée par une compagnie spécialisée dans l’enfouissement de matières dangereuses résiduelles et de sols contaminés. Elle indique qu’une situation similaire pourrait se produire si les produits utilisés pour concevoir les batteries se retrouvent dans les eaux de surface et souterraines.

Pour moi, si ce projet ne passe pas au BAPE, je ne comprends pas qu’on le laisse continuer.

Catherine Lefebvre, productrice

Les délégués ont voté une résolution demandant à l’UPA de faire pression sur le gouvernement québécois pour que celui-ci utilise obligatoirement le cadre législatif actuel, soit la CPTAQ et le BAPE, dans une démarche de transparence visant à la fois Northvolt et tous les projets de grande envergure.


Un moment de crise en Montérégie

L’inflation du prix des équipements et des intrants, la hausse des taux d’intérêt, la crise du porc et les rendements catastrophiques de plusieurs maraîchers créent de la tension au sein de la communauté agricole de la Montérégie. « Il y a une crise dans le maraîcher. De grosses fermes maraîchères qui vont perdre quatre, cinq, six millions cette année, ce n’est pas dur à trouver. Le gouvernement a une responsabilité. On a besoin de sécurité du revenu. Même chose pour des petites fermes en démarrage. C’est possible qu’on en entende moins parler, mais certaines risquent de disparaître. Le gouvernement a favorisé l’implantation de ces fermes-là, et quand tu fais la promotion de quelque chose, tu t’achètes une responsabilité. Il doit les maintenir en vie », a plaidé le président de la Fédération de l’UPA de la Montérégie, Jérémie Letellier, lors de l’assemblée générale annuelle de son organisation.

Remboursement du compte d’urgence

Les « prêts COVID » du compte d’urgence allant jusqu’à 60 000 $ par entreprise seront à rembourser le 18 janvier, une situation qui posera des problèmes à plusieurs fermes. « Le gouvernement peut dire qu’il faut rembourser les prêts, mais pour plusieurs, on ne l’a pas, cet argent-là. Le gouvernement [fédéral] a donné une extension de… trois semaines. C’est assez clair comme message qu’il garde le cap », déplore M. Letellier.

Les délégués de la Montérégie ont voté une résolution demandant un réel délai supplémentaire. Sauf qu’un producteur a pris le micro pour signaler qu’il sera trop tard. « Si on attend au congrès de l’UPA en décembre [pour revoter cette résolution au niveau national], il va faire chaud tantôt. Ceux qui doivent faire des démarches pour aller chercher des prêts, il sera minuit moins une », a dit le délégué, qui suggère de ne pas attendre et d’exercer des pressions dès maintenant sur le gouvernement fédéral.