Économie 27 novembre 2023

Les achats de fermes de Mario Côté dérangent au Bas-Saint-Laurent

SAINTE-LUCE – Il y a parfois de ces hasards. Au moment où un employé de la MRC de La Mitis dénonçait, en entrevue avec La Terre, à la fin octobre, l’achat de fermes locales par des gens de l’extérieur, un camion de Mario Côté, un homme d’affaires de l’Estrie, se stationnait pour charger du grain sur une terre de Sainte-Luce dans l’une des fermes qu’il a achetées au Bas-Saint-Laurent.

Jonathan Ferté

« On a répertorié plus de 2 000 hectares qui appartiennent à des investisseurs de l’extérieur qui ont été acquis dans les 10 dernières années, mais le phénomène s’accélère dernièrement », dit Jonathan Ferté, conseiller au développement agroalimentaire pour la MRC de La Mitis. Selon lui, les difficultés économiques vécues par les fermes locales risquent d’accélérer le phénomène.  « L’impact est quand même important, car les entreprises qui ont été achetées étaient dans des secteurs où l’agriculture est relativement dynamique. Il s’agit de terres qui ne sont plus disponibles pour la relève ou pour nos entreprises qui veulent se développer. » 

Il fait valoir que les achats par les étrangers vont à l’encontre de l’essence du PDZA, le plan de développement de la zone agricole. « Nous, régionalement, on peut dire qu’on travaille vraiment fort pour le transfert des fermes, pour aider notre agriculture à croître, et, à côté de ça, il y a un modèle d’investisseurs qui vient très rapidement nuire aux efforts qu’on fait », déplore celui qui est agronome.

Parmi les investisseurs de l’extérieur recensés par la MRC de La Mitis se trouvent entre autres des agriculteurs de la Montérégie et de Lanaudière, mais le Groupe Mario Côté est celui ayant acquis le plus de fermes.

Joint par téléphone, Mario Côté ne se défile devant aucune question. « J’achète des terres et je les cultive. C’est ma job; j’ai toujours fait ça. J’en ai d’Ottawa jusqu’au Bas-Saint-Laurent. Je les paie, je paie mes taxes et on ne force personne. Les gens m’appellent. Même présentement, j’en ai une dizaine qui m’ont appelé au Bas-Saint-Laurent pour me vendre leur ferme et je vais aller les voir », affirme-t-il. M. Côté dit posséder entre 200 et 300 fermes dans les secteurs laitiers, porcins et avicoles. 

Mario Côté indique qu’il a acheté de façon légitime plusieurs fermes au Bas-Saint-Laurent, dont cette terre à Sainte-Luce, où les camions de son entreprise venaient  chercher le grain récolté, le 27 octobre, lors du passage de La Terre. Photo : Martin Ménard/TCN

Démantèlements de ferme

Mario Côté

Jonathan Ferté, de la MRC de La Mitis, se désole particulièrement de voir des fermes être démantelées lorsqu’elles changent de mains. « Si je prends une ferme laitière achetée par le Groupe Mario Côté, donne-t-il en exemple, elle était exploitée, et quand il est arrivé, tous les animaux sont sortis. On reste actuellement avec une belle ferme, de belles installations, qui sont vides. » Il calcule que six autres fermes ont été démantelées à la suite de leur acquisition. 

Au sujet des critiques entourant le démantèlement d’une ferme laitière à Sainte-Luce, Mario Côté répond qu’« elle était désuète avec un troupeau de 30 vaches attachées ». « Il n’y avait pas grand-chose à faire avec ça. Le plan, c’est de faire la culture des terres et peut-être mettre des taures », commente-t-il.

La MRC de La Mitis lui reproche aussi de ne pas contribuer à l’économie locale en remplaçant les anciens propriétaires par des travailleurs étrangers temporaires, et en achetant ses intrants hors de la région. Cette dernière information n’est pas réfutée par M. Côté, lui qui achète ses semences et ses engrais en gros et livre ses grains récoltés au Bas-Saint-Laurent à sa meunerie de Yamachiche, principalement. « Mais j’emploie 50 personnes là-bas », insiste-t-il.

Continuera-t-il à acheter des fermes au Bas-Saint-Laurent? « J’en ai acheté une cet été et je viens d’en acheter une autre. Mais avec les taux d’intérêt, ça va être plus tough. Ça va me ralentir, sûrement. On ne fait pas mieux que les autres », répond celui qui affirme agir seul dans l’achat des fermes, sans investisseurs derrière lui. Il compte plutôt sur des partenaires financiers dans ses autres entreprises; ses meuneries, par exemple. 

L’argument selon lequel il nuit à la relève agricole ou à l’expansion des fermes locales ne l’atteint pas. « C’est sûr que ce qu’on achète n’est plus disponible pour un autre, mais le soleil brille autant pour moi que pour tout le monde. Je n’enlève pas de ferme. Les gens m’appellent pour vendre. Et j’ai moi-même de la relève; j’ai huit enfants qui travaillent avec moi. On gagne notre vie avec ça. »  

Olivier Chénard et Valérie Michaud. Photo : Gracieuseté de La Ferme Ochene

Olivier Chénard et Valérie Michaud. Photo : Gracieuseté de La Ferme Ochene

Une spéculation qui hausse le prix des terres et des locations

Un jeune couple en production bovine de Sainte-Luce vit avec les conséquences des achats de terres de cet investisseur provenant de l’Estrie. « Ça nous empêche carrément d’agrandir, dit Valérie Michaud. Ce sont des terres avec un potentiel agricole plus grand que d’autres. […] On ne savait pas qu’elles étaient à vendre; elles n’étaient pas affichées. Les anciens propriétaires ont contacté directement l’acheteur et ça s’est fait », raconte-t-elle.

Après la transaction, qui date de trois ans, son conjoint, Olivier Chénard, et elle ont loué les terres achetées par l’investisseur. « Chaque année, il a monté les prix. Le prix n’a plus d’allure et on a laissé faire. Sauf que ça se parle et ça fait augmenter le coût de location autour. Nous, on a besoin de nos locations pour cultiver », souligne M. Chénard.