Économie 18 avril 2023

3 000 fermes envisagent de mettre la clé sous la porte

LONGUEUIL – L’Union des producteurs agricoles (UPA) tire la sonnette d’alarme. Un sondage maison effectué auprès de 3 675 répondants révèle qu’en raison de l’augmentation du coût des intrants et des taux d’intérêt, 11 % des producteurs québécois songent à fermer leur entreprise dans les prochains mois. Cela représente environ 3 000 fermes sur 28 000 à travers la province.

Le sondage, dévoilé le 12 avril, démontre que 2 entreprises sur 10 se considèrent actuellement en mauvaise santé financière et que près de 50 % des répondants anticipent une détérioration au cours des 12 prochains mois. La relève, les régions éloignées et les productions animales sont particulièrement affectées.

À sa ferme laitière de Louiseville, en Mauricie, le président de l’Union des producteurs agricoles, Martin Caron, a enregistré une augmentation de 77 % du prix des fertilisants en 2022. Le prix du diesel s’est quant à lui accru de 66 %. « Je ne suis vraiment pas étonné des chiffres que le sondage nous amène », a-t-il mentionné en conférence de presse le 12 avril. Comme lui, plus de la moitié des répondants du sondage observent que la hausse du prix des intrants, soit le prix des carburants (64 %), des engrais (51 %), des coûts d’alimentation (51 %) et des frais de transport (41 %), sont un obstacle auquel ils se heurtent actuellement. La hausse des taux d’intérêt affecte 56 % des producteurs. 

Pour s’acquitter de leurs obligations financières en 2023, plusieurs producteurs envisagent de diminuer la taille de leur entreprise (14 %), de demander un congé de capital à leur institution financière (18 %), de consolider leur dette (20 %) et d’utiliser davantage leur marge de crédit ou des comptes à payer (41 %).

On ne remonte pas un cheptel demain matin si la santé financière de notre entreprise a été mise à mal et une fois qu’elle est fermée, c’est à peu près impossible à redémarrer donc, je trouve ces chiffres inquiétants.

La cheffe des affaires économiques et directrice de la Direction des recherches et politiques agricoles de l’UPA, Isabelle Bouffard

Ça aurait pu être pire

Le vice-président Agriculture pour le Canada à la Banque Nationale, Patrick Turmel, n’est pas non plus surpris des chiffres présentés. Ce dernier observe les mêmes tendances sur le terrain, au Québec et dans le reste du Canada. Toutefois, les résultats auraient pu être plus dramatiques si le revenu net agricole n’avait pas été aussi élevé ces deux dernières années, dit-il. Les revenus nets agricoles québécois se sont accrus de près de 15 % entre 2020 et 2021 pour atteindre 1,28 G$. Certains producteurs ont obtenu d’excellents revenus, notamment dans la production de céréales dans les régions centrales de la province, mentionne pour sa part le directeur général de l’UPA, Charles-Félix Ross. Il ajoute que des actions ont été posées en 2022 pour aider les producteurs. Dans les secteurs sous gestion de l’offre, les coûts de production ont été indexés plus rapidement. À La Financière agricole du Québec (FADQ), les coûts de production des secteurs couverts par l’Assurance stabilisation des revenus agricoles ont également été augmentés. 

Toutefois, l’augmentation des coûts de production a été trois fois supérieure à l’inflation entre janvier 2020 et septembre 2022 et 50 % du portefeuille de prêts garantis de La Financière agricole du Québec serait à renouveler en 2023. « Ces prêts, qui étaient autour de 2 %, vont se renouveler à 5 ou 6 %. Si les producteurs ont de la misère à payer leur dette, ils iront vers des marges de crédit, à des taux aussi plus élevés, dit-il. Certains prêts sont renouvelables maintenant, d’autres en mai, en août, etc., donc c’est une situation qui va prendre de l’ampleur dans les mois à venir. »


Sondage crédible

Le sondage maison dévoilé par l’Union des producteurs agricoles le 12 avril est crédible, indique le vice-président Agriculture pour le Canada à la Banque Nationale, Patrick Turmel. « C’est un sondage de 3 675 répondants. [D’un point de vue] statistique, c’est un bon chiffre, dit-il. Tout sondage, peu importe qui le fait, on ne doit pas le prendre à la légère. » Une nuance s’impose toutefois : toutes les entreprises ont des modèles d’affaires, des types de productions et des niveaux d’endettement différents, indique-t-il. « Il y en a, des entreprises plus endettées que d’autres, et certaines passeront plus facilement au travers parce qu’elles sont moins endettées, mais on ne peut pas généraliser l’ensemble parce que chaque entreprise est différente », souligne Patrick Turmel.

L’agriculture, le secteur économique le plus touché

Le secteur agricole est plus touché par l’inflation et par l’augmentation du coût des intrants et des taux d’intérêt que les autres secteurs de l’économie, selon l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises, effectuée par Statistique Canada au premier trimestre de 2023. Le directeur général de l’Union des producteurs agricoles, Charles-Félix Ross, mentionne que l’agriculture est un secteur fortement endetté et capitalisé (c’est-à-dire qu’il faut investir en moyenne 8 $ d’actifs pour générer 1 $ de revenu). La dette agricole s’est fortement accrue ces dernières années, pour atteindre 27 G$ en 2022.