Alimentation 24 novembre 2023

Une « guerre des protéines » en perspective

SAINT-HYACINTHE – Les producteurs de viande devraient se préoccuper davantage des protéines animales fabriquées en laboratoire, a souligné Maurice Doyon, professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, dans le cadre d’une conférence présentée le 15 novembre aux Rendez-vous avicoles de l’Association québécoise des industries de nutrition animale et céréalière (AQINAC), à Saint-Hyacinthe.

Maurice Doyon

Devant les progrès récents de cette nouvelle industrie, il a encouragé les producteurs agricoles à travailler dès maintenant sur les points faibles de leurs produits pour éviter de perdre des parts de marchés à plus long terme. Car, selon lui, « les viandes de synthèse ont le potentiel de devenir un meilleur substitut aux protéines animales que les protéines végétales », lesquelles séduisent encore peu « les mangeurs de viande », a-t-il souligné. 

Les principaux avantages de ces produits de synthèse sont le goût, très semblable au type de viande qu’ils imitent, et leur faible impact sur l’environnement.

Si les PAL [protéines animales de laboratoire] arrivent à des prix légèrement plus élevés que la protéine animale, ça pourrait devenir d’importants compétiteurs sur les marchés de niche. S’ils arrivent à des prix inférieurs ou équivalents, elles ont le potentiel de prendre une plus grande place, sous l’hypothèse que le goût et les textures sont là.

Maurice Doyon, professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval

Des projections estiment que les parts de marché de ces produits alternatifs pourraient grimper de 2 % à 17 % d’ici 2040. Néanmoins, la consommation de viande d’origine animale continuera, elle aussi, d’augmenter en raison de l’accroissement de la population, à l’échelle tant canadienne que mondiale, a nuancé M. Doyon. 

Cette croissance pourrait malgré tout être « grugée » par les entreprises qui développent ces produits de substitution et qui travaillent actuellement sur leurs faiblesses pour gagner des parts du marché. 

« Vous, comme producteurs de protéines animales, c’est clair que vous disposez de temps pour améliorer vos pratiques, que ce soit en matière d’environnement ou de bien-être animal, pour valoriser l’aspect santé et nutrition de vos produits. C’est peut-être une chose que vous avez tenue pour acquise et que vous ne faites pas suffisamment. En gros, vous disposez de temps pour réagir, mais ce temps-là, il est quand même compté », a prévenu le professeur.

Avantages et inconvénients des PAL

Avantages 

  • Faible impact environnemental;
  • Faible impact sur le bien-être animal et absence d’abattage;
  • Potentiel d’augmenter la sécurité alimentaire;
  • Potentiel sur le plan de la santé (contrôle pour moins de gras saturés, pas de résistance aux antibiotiques, moins de contamination bactérienne);
  • Potentiel de plaire aux végétariens et aux véganes qui ont des motivations environnementales ou de bien-être animal, ainsi qu’aux mangeurs de protéines animales.

Inconvénients

  • Coût de production encore très élevé (toutefois, la capacité de baisser ces coûts est grande puisque ces technologies [bioréacteur et agriculture moléculaire] permettent des économies de taille et nécessitent peu d’intrants);
  • Acceptabilité sociale.

Source : Conférence « La guerre des protéines : gare à vos plumes! » présentée par Maurice Doyon, le 15 novembre, aux Rendez-vous avicoles de l’AQINAC

Deux technologies de fabrication de protéines animales de laboratoire

Deux technologies permettent actuellement de fabriquer de la viande de synthèse, aussi appelée protéine animale de laboratoire (PAL). L’une d’elles consiste à prélever des cellules sur un animal et à les déposer dans un bioréacteur afin qu’elles soient multipliées. Elles sont ensuite placées dans un second bioréacteur qui les fait « maturer » pour obtenir un produit semblable à la viande. L’autre technique est l’agriculture moléculaire, qui consiste à insérer dans une plante une molécule animale, pour que la plante produise ensuite cette protéine. Cette technologie permet, par exemple, d’utiliser la pomme de terre pour générer de la protéine de blanc d’œuf, a rapporté Maurice Doyon, dans le cadre d’une conférence présentée aux Rendez-vous avicoles de l’AQINAC.

Présentement, 60 firmes à travers le monde travaillent sur le développement de produits avec l’une ou l’autre de ces technologies, a précisé M. Doyon, alors que de grandes entreprises comme Tyson et Cargill ont investi dans certains de ces projets. 

Du côté de la consommation, Singapour est le premier pays à avoir autorisé la vente des PAL sur le marché, en décembre 2020. Les États-Unis l’ont également autorisée, en juin 2023, pour deux entreprises, soit Upside Food et Good Meal. D’autres pays asiatiques, comme la Corée du Sud et la Chine, seraient aussi sur le point d’approuver ces produits sur les marchés de la consommation humaine.