Élevage 31 juillet 2018

Acheter à la valeur marchande : un choix déchirant

WARWICK — Difficile pour une relève non apparentée de devenir propriétaire en achetant les terres d’une entreprise laitière à leur valeur marchande. Philippe Laurendeau l’a appris à ses dépens. En mars dernier, il a fait l’impossible pour réussir à acheter les terres qu’il louait.

La Terre suit le processus d’achat de l’agriculteur de 39 ans depuis un an. « Cela a été une des pires années de ma vie, soupire-t-il quelques mois après être devenu propriétaire. Je n’ai pas le goût de faire un plat avec ça. Je veux juste passer à autre chose et tourner la page. »

Philippe Laurendeau louait les bâtiments et 300 acres de terre. Son bail se terminait en mars 2018 et, depuis l’année précédente, il voulait devenir propriétaire pour assurer son avenir. Il a finalement conclu la transaction en payant les bâtiments et les terres à la valeur marchande. Il a toutefois dû se limiter à acquérir la moitié des 300 acres louées, un autre producteur ayant acheté les 150 acres restantes.

Son discours en mars 2017

Depuis le début de ses démarches, en 2017, Philippe Laurendeau souhaitait acheter des terres près de Warwick. Mais le fait que celles-ci étaient évaluées à près de 8 000 $/acre (19 768 $/hectare) en moyenne l’en empêchait.

En dépit de sa très bonne moyenne de production de plus de 10 700 kg de lait par vache à un taux de 4,1 % de matière grasse, Philippe Laurendeau estimait qu’il compromettrait la viabilité de son entreprise en achetant des terres au prix du marché.

Celui qui détient un baccalauréat en finance déplorait la croissance constante du prix des terres, qui empêche une relève non apparentée comme lui de les acheter à la valeur marchande.

« Si on ne te fait pas un cadeau ou que tu es une relève non apparentée, tu vas être pris à la gorge, laissait-il entendre en 2017. Je suis à un point où je me demande si je continue ou si je vends mon entreprise. »

Signer ou fermer boutique

Après des mois de négociations et de réflexion, Philippe Laurendeau a finalement conclu la transaction. Il possède 100 kg de quota de production et prévoit croître dans les prochaines années pour rentabiliser son achat de terres.

« Soit j’achetais les terres que je louais, sois je fermais boutique. Tu t’endettes tant que tu peux ou tu pars pour de bon dans 30 jours », résume Philippe Laurendeau. Celui-ci confie avoir vécu un des plus gros stress de sa vie. Si sa situation économique est plus difficile que par le passé, il garde tout de même le moral. Il avait quitté Sherbrooke en 2010 pour réaliser son rêve de devenir agriculteur. « Je suis content d’avoir acheté la terre. Quand tu aimes ce que tu fais, tu prends les risques qui vont avec! On est dans une passe creuse en agriculture, mais malgré tout, il y a des bonnes années en avant de nous », croit-il.  

Du respect entre les acheteurs

Plusieurs acheteurs potentiels ont refusé de miser contre Philippe Laurendeau pour acheter ses terres à Warwick, de crainte qu’il ne soit obligé de quitter la région avec sa famille, a révélé le principal intéressé. Il a avoué être surpris du respect qui règne entre les agriculteurs.

« Tout le monde a été respectueux, indique Philippe Laurendeau. Personne n’a fait de surenchère, même si plusieurs m’ont dit qu’ils voudraient les terres si je n’étais plus preneur. »

La dure réalité

Paul Maynard, agronome et directeur en transfert d’entreprise à la Banque Nationale, fait la même analyse que Philippe Laurendeau. « On ne devrait jamais payer plus cher que 5 000 $ l’hectare de terre pour être rentable en faisant du foin, recommande-t-il à ses clients. Le marché pour les fermes laitières n’est pas là. »

Selon La Financière agricole du Québec, le prix moyen des terres agricoles de la province a presque doublé de 2011 à 2016, passant de 7 746 $/hectare à 15 772 $/hectare. 

Ainsi, si l’on analyse le contexte actuel à la lumière des propos de Paul Maynard, l’Abitibi–Témiscamingue, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et le Bas-Saint-Laurent offrent un prix moyen convenable par hectare pour des terres agricoles.

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