Vie rurale 18 janvier 2017

Le silence des femmes

Il est difficile de faire parler les agricultrices sur l’absence de rémunération pour leur travail ou sur les parts qu’elles ne détiennent pas dans l’entreprise familiale.

C’est évocateur : le sujet semble encore tabou dans les ménages agricoles du Québec. « Je connais des femmes dans ces situations, mais je ne veux pas vous donner de noms parce que je ne veux pas causer de divorces », a même déclaré à la Terre un inséminateur de la Montérégie. La tâche a été ardue, mais trois femmes ont accepté de se confier à la Terre : Marie-Ève, Julie (nom fictif) et Véronique.

Une petite valise

À 34 ans, Marie-Ève a recommencé sa vie à zéro. Sa relation avec son conjoint de l’époque était houleuse, mais quand elle a appris que son beau-père ne la laisserait pas racheter de parts dans l’exploitation laitière de la famille, ç’a été le « coup de grâce ». D’autant plus que la nouvelle lui a été annoncée deux jours avant qu’elle emménage à la ferme de sa belle-famille. La jeune femme ne pouvait imaginer bâtir son projet d’entreprise sur une terre qui n’était pas la sienne.

« Mon ex avait malheureusement cette mentalité-là. Il avait envie que je sois là pour l’aider, mais pas plus. C’est à ce moment que j’ai décidé de partir. » Elle n’avait qu’une valise de vêtements et s’est juré que pareille situation ne se reproduirait jamais. La jeune femme n’a d’ailleurs jamais été payée pour le temps investi dans la ferme. Mariée depuis avec un autre homme, Marie-Ève s’est acheté une propriété et cinq acres de terres, « à 50-50 ».

Sa ferme attendra

Julie élève seule ses trois enfants. À 34 ans, elle gère son propre domaine agricole, mais ne peut l’exploiter à son plein potentiel, puisqu’elle passe une grande partie de son temps à la ferme maraîchère de ses parents. Ils vieillissent et il faut les aider.

En saison, elle y consacre environ 30 heures par semaine, bénévolement ou presque. Les bonnes années, elle perçoit un salaire, mais le reste du temps, elle n’en perçoit pas. Sa rémunération dépend des revenus engendrés par l’exploitation.

La jeune femme n’a pas de parts dans l’entreprise non plus, mais envisage de prendre la relève de la ferme familiale dans les cinq prochaines années et d’unir les deux exploitations. En attendant, pour subvenir aux besoins de sa famille, Julie travaille à temps partiel dans une ferme porcine de la région. Malgré sa situation, elle dit être une femme heureuse, comme 70 % des répondantes de l’Étude sur le travail invisible des femmes en milieu rural commandée par la Fédération des agricultrices du Québec.

Deux passions

Productrice de baies d’argousier et directrice de comptes agricoles, Véronique Le Hégarat conjugue, elle aussi, ses « deux passions ». La productrice d’une cinquantaine d’années investit de 30 à 40 heures par semaine dans la ferme dont son mari est propriétaire unique. Comme l’exploitation est toujours en démarrage, sa rentabilité n’est pas encore optimale, et ni Mme Le Hégarat ni son mari ne sont rémunérés pour le travail fourni. C’est le salaire extérieur de l’épouse qui constitue en grande partie le fonds de roulement de l’exploitation. Mme Le Hégarat sait qu’en cas de divorce elle pourrait tout perdre. Elle a donc veillé à se protéger : « Toutes les sommes que j’injecte dans le fonds de roulement sont comptabilisées et, en cas de séparation, je les récupérerai. »

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