Innovation 1 décembre 2023

Après 25 ans sur le tarmac, Gigrow décolle enfin

CANDIAC – Les Dumont auront sans doute envie de déboucher le champagne, cette année, à Noël. L’inventeur de la technologie Gigrow, Gilles Dumont, et son fils, Guillaume, voient enfin les premières usines se bâtir au pays, 25 ans après les débuts de l’aventure. 

« Pour prendre une image agricole, on sent qu’on est en train de récolter. C’est excitant! » raconte le fils, ingénieur, assis aux côtés de son père dans le modeste bureau jouxtant l’usine du quartier industriel de Candiac, en banlieue de Montréal. 

Gilles Dumont a imaginé cette technologie de culture sur roues avec l’objectif de produire des légumes à l’intérieur, de manière saine, avec une empreinte écologique minimale. Mais le chemin des Dumont aura été parsemé d’embûches, notamment en raison d’une brouille avec d’anciens partenaires, dont le projet de plusieurs millions de dollars à Varennes n’a jamais vu le jour. Les Dumont auront aussi consacré beaucoup de temps à développer leur système, qui en est maintenant à la quatrième génération. « Ce sont des rats de laboratoires perfectionnistes, juge Pierre Ferland, un nouveau partenaire d’affaires. Leur force, c’est ça, plus que la vente. » 

Percée en France

Pascal Thomas

Ils ont toutefois connu une percée, il y a quatre ans, grâce à un entrepreneur français, Pascal Thomas, qui a découvert la technologie lorsqu’il habitait à Montréal. De retour en France, M. Thomas a enterré son père, un agriculteur mort du Parkinson, et a décidé de reprendre la ferme, mais en production intérieure. « Je voulais absolument produire sans pesticides et sans fongicides », mentionne le président de Futura Gaïa, qui y voit la cause de la maladie de son père. 

À partir de 2019, l’entrepreneur français a d’abord acheté quatre, puis 62 barils de production, afin d’instaurer une usine pilote. Il y voit de nombreux avantages. Outre la résilience face au climat, la qualité et la stabilité de la production, il y a la rentabilité.

Si les agriculteurs voyaient nos marges, ils viendraient en courant

Pascal Thomas

L’usine française donnera un bon coup de pouce par la bande. « On était beaucoup confrontés au syndrôme “c’est trop beau pour être vrai”, explique Guillaume Dumont, qui a conçu le système de contrôle électronique. Depuis presque trois ans, Futura Gaïa fait la preuve que ça marche ».

Les installations de Futura Gaïa, en France. Depuis quatre ans, l’entreprise a mené 1 400 recherches sur différentes applications, notamment pharmaceutiques. Photo : Gracieuseté de Futura Gaïa

En sol canadien

Marc Brisson

Au Canada, la première « ferme » commerciale qui entre en production, ces jours-ci, est à Casselman, en Ontario. Marc Brisson, de la Ferme Marseni, producteur de maïs et de soya, a choisi de croître et de se diversifier de cette manière. « Je voulais agrandir, mais au prix actuel des terres, les chiffres ne marchaient pas », dit celui-ci. Il vient d’acheter 50 unités de Gigrow et compte en commander 10 autres par mois jusqu’à 250, afin de faire pousser du basilic et, éventuellement, des laitues. Ce type de production revêtait aussi pour lui un autre intérêt : la culture dans un sol vivant. « Je suis un agriculteur, et pour moi, les aliments, ça doit pousser dans la terre ».

Au Québec, une entreprise de Lanaudière démarrera en production commerciale au mois de décembre et sera pleinement opérationnelle en 2024. Dans Chaudière-Appalaches, deux fils d’agriculteurs, Jérémie Lavoie (production porcine) et Pierre Ferland (production laitière), emboîtent le pas. Ils y ont vu une solution intéressante pour, d’une part, remplacer la production de la ferme porcine, qui cessera cet automne et, d’autre part, diversifier les activités de la ferme laitière vers une production végétale.

Le premier est biologiste et agronome et le second, agroéconomiste. Ils ont cherché la meilleure technologie possible en production maraîchère. « On a fouillé partout dans le monde pendant quatre mois et finalement, elle était au Québec », dit Pierre Ferland. Les deux entrepreneurs de 29 et 30 ans viennent d’acheter trois roues de production et comptent notamment vendre des Gigrow, en accompagnant les entreprises dans leur développement.

En France, Pascal Thomas aimerait aller plus loin avec Gigrow et créer une entreprise conjointe. Les Dumont ne disent pas non, mais ont des réserves.  « On s’entend très bien, mais on veut garder notre liberté et l’essence de l’entreprise. Il faut que les prix restent accessibles. Cet été, il y en a qui ont perdu 200 000 $ à cause de la pluie. On veut que les agriculteurs puissent les acheter pendant qu’ils le peuvent encore, qu’ils puissent se diversifier et que ce soit rentable. »

La France mise sur la recherche

En France, Futura Gaïa, qui cultive présentement du basilic, fait également des recherches sur beaucoup d’autres cultures. « Nous avons 31 employés, dont la plupart sont docteurs en agronomie ou ingénieurs, précise Pascal Thomas. Nous avons mené 1 400 recherches sur différentes applications, notamment pharmaceutiques. » L’entreprise se prépare à lancer une nouvelle usine de 400 roues, où l’on produira du basilic ou des légumes-feuilles. « Cela dit, à terme, notre modèle est de vendre l’ensemble du système d’opération d’une usine, incluant des Gigrow », explique le fondateur.

Le fait que les plantes poussent dans la terre permet aussi de reproduire des sols particuliers. « Après des essais dans dix de sols, on est parvenus à faire pousser de l’arnica, rapporte M. Thomas. C’est une plante médicinale indigène très recherchée qu’on ne peut plus récolter en France, parce qu’elle est devenue trop rare à cause des changements climatiques. »

   

Les plants reçoivent quelques gouttes d’eau alors qu’ils sont tête en bas. Photo : Sophie Lachapelle/TCN

Les plants reçoivent quelques gouttes d’eau alors qu’ils sont tête en bas. Photo : Sophie Lachapelle/TCN

Une roue qui tourne

Les plants poussent sur une roue qui effectue une très lente rotation et ils reçoivent quelques gouttes d’eau alors qu’ils sont tête en bas. « Normalement, l’eau doit remonter contre la gravité, dit Gilles Dumont. Je me suis dit qu’en leur facilitant la vie, les plants nous donneraient peut-être quelque chose en retour. Ça rend les plants plus résistants. Les gens du Centre national de recherche du Canada, avec qui on a travaillé, nous ont dit qu’ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi. » Chercheur et consultant indépendant en production serricole, Alain Charbonneau teste la machine depuis le printemps. À son avis, les produits se distinguent par le goût et leur durée de vie. Il a aussi noté l’autonomie du système. « Je suis parti une semaine et ça continuait de rouler tout seul, raconte-t-il. Pour moi, les Gigrow sont définitivement un outil de plus pour nourrir la planète. » Gilles Dumont précise qu’il est possible de « faire pousser beaucoup de choses dans un Gigrow, mais tout n’est pas également rentable ».  « Le basilic marche très bien parce qu’il occupe peu d’espace et se vend à bon prix. Les légumes à feuilles marchent bien aussi. Après, oui, des bébés poivrons, des mini tomates, des fraises, mais ça n’est pas aussi payant », précise-t-il.