Petits fruits 24 novembre 2023

Le recul de la canneberge bio se poursuit

Se butant à un marché engorgé, à une lutte aux ravageurs ardue et à des prix qui ne sont pas au rendez-vous, un producteur de canneberges expérimenté, Sébastien Bélanger, dont les superficies sous régie biologique s’élevaient à 283 hectares en 2021, s’est résigné à presque tout convertir en conventionnel ces deux dernières années.

« Il ne me reste que 100 acres [40 hectares] en bio. J’en avais 700 », exprime le producteur qui cultive au total 1 500 acres (600 hectares) de canneberges à plusieurs endroits dans le Centre-du-Québec. Il produisait sous régie biologique depuis 2007.

La principale raison, c’est l’aspect financier. On se bat plus pour moins. Ça coûte 0,35 $ de plus la livre, produire en bio, et le marché n’est pas là. C’est une décision qui a été dure à prendre, mais il fallait qu’on saute, il fallait qu’il se passe de quoi.

Sébastien Bélanger

21,5 % des cultures totales

La décision de l’agriculteur est le reflet d’une tendance qui prend de l’ampleur ces dernières années, selon les plus récentes données compilées par l’Association des producteurs de canneberges du Québec (APCQ). Les superficies biologiques, qui étaient déjà en perte de terrain, ont encore reculé de 632 acres en 2023, représentant désormais 21,5 % des cultures totales. En 2020, la proportion était plutôt de 38 %. Les rendements provinciaux sont par ailleurs estimés, cette saison, à 11 000 livres/acre, soit un résultat de 29 % inférieur à la moyenne des cinq dernières années. 

« Le contrôle des insectes envahisseurs, c’est de plus en plus difficile. Je pense que c’est le résultat d’une accumulation. Le producteur va prendre une année de pertes majeures, mais deux-trois en ligne, à un moment donné, ça ne fait plus », constate le président de l’APCQ, Vincent Godin. 

Il explique que la production de canneberges biologiques au Québec a connu une telle croissance de 2016 à 2020 que le marché peine aujourd’hui à tout absorber. 

La demande pour les produits biologiques, dans un contexte inflationniste où les consommateurs font des choix, est par ailleurs au ralenti, notamment en Europe, où le Québec exporte beaucoup de canneberges transformées. 

Alors que la production bio était payante vers 2017-2018, en raison des prix intéressants obtenus, elle ne l’est plus aujourd’hui, selon Sébastien Bélanger.

« Ça coûte tellement cher à produire, avec le désherbage manuel, les pertes de rendements et les ravageurs. Depuis trois ans, le bio, ce n’est pas rentable du tout », exprime le producteur, qui anticipe que la canneberge biologique, ultimement, deviendra un produit de niche à cultiver en petites quantités. « À grande échelle, je n’y crois plus. »

 Les superficies biologiques, qui étaient déjà en perte de terrain, ont encore reculé de 632 acres en 2023, représentant désormais 21,5 % des cultures totales.
Les superficies biologiques, qui étaient déjà en perte de terrain, ont encore reculé de 632 acres en 2023, représentant désormais 21,5 % des cultures totales.

En entrevue avec La Terre l’an dernier, le président du transformateur Fruit d’Or, Martin Le Moine, s’est fait un peu plus optimiste, anticipant que le marché bio reprenne éventuellement le chemin de la croissance.  

Faible récolte dans le conventionnel aussi

De façon générale, les rendements, y compris dans le conventionnel, ont été faibles au Québec en 2023, totalisant près de 205 millions de livres, soit 130 millions de livres de moins que l’an dernier. 

Le rendement à l’acre en production conventionnelle, qui s’est élevé à 18 527 livres, a été de 28 % inférieur à la moyenne des cinq dernières années. Rappelons toutefois qu’une récolte record avait été enregistrée en 2022. 

« À la base, on partait avec un potentiel moins intéressant en début de saison, analyse Vincent Godin. Les plantes avaient donné beaucoup l’an dernier. C’est normal qu’elles aient moins donné cette année. Il fallait qu’elles se reposent. »

À ce phénomène s’ajoutent les conditions météorologiques du printemps et de l’été qui ont été difficiles. 

Dans l’ensemble du marché nord-américain, précise M. Godin, les rendements ont été bons, ce qui fait en sorte que la faible récolte au Québec ne se traduit pas par un prix plus élevé payé aux producteurs découlant d’une rareté de fruits.

« Les marchés sont mondiaux et la production au Wisconsin a été excellente. La petite production québécoise ne vient pas augmenter les prix », fait-il valoir.