Maraîchers 8 juin 2023

Incapable de vendre ses laitues depuis la suspension de sa certification CanadaGAP

Un producteur maraîcher d’Oka, dans les Laurentides, craint de devoir jeter 2 000 caisses de laitues qu’il est incapable de vendre depuis la suspension, à la fin mai, de sa certification CanadaGAP, exigée de la plupart de ses clients grossistes. En attendant les résultats d’une enquête de ce programme de salubrité des aliments, il entrepose ses récoltes dans un endroit réfrigéré, en espérant éviter le gaspillage et pouvoir les commercialiser plus tard.

Une récente enquête de La Presse a soulevé le risque que des légumes cultivés par les Jardins Végibec aient été irrigués en 2020 avec de l’eau provenant d’un ruisseau pollué par un dépotoir illégal à Kanesatake, près d’Oka. De l’eau puisée d’un autre site contaminé à Saint-Joseph-du-Lac pourrait aussi avoir servi à arroser la production de la ferme maraîchère, rapporte le média. L’un des propriétaires, Pascal Lecault, se défend en affirmant qu’il n’a jamais irrigué ses cultures avec de l’eau contaminée. Ce dernier plaide au contraire que des tests effectués par l’Agence canadienne d’inspection des aliments et le ministère de l’Agriculture du Québec ces dernières années ont mené à la conclusion que ses légumes étaient sains et qu’ils pouvaient être consommés.

M. Lecault affirme aussi qu’il avait arrêté d’arroser sa production avec de l’eau puisée à proximité du dépotoir de Kanesatake bien avant que survienne un déversement toxique en août 2020.

Les suspensions sont rares

Dans ce contexte, le programme de salubrité mis en place par l’industrie, CanadaGAP, dont l’accréditation est exigée de la plupart des grossistes et des grandes chaînes de détaillants alimentaires pour la commercialisation de fruits et légumes, a suspendu la certification des Jardins Végibec, le temps de mener une enquête sur son « système de salubrité alimentaire ».

Dans un courriel, la directrice générale de CanadaGAP, Heather Gale, a spécifié que de telles suspensions sont « très rares ». « Nous n’en voyons généralement pas plus de 2 ou 3 par an [sur environ 3 000 producteurs certifiés au Canada]. La situation qui fait l’objet d’une enquête avec Les Jardins Végibec est très inhabituelle; nous ne sommes toujours pas sûrs de tous les détails […], mais il est prudent de dire qu’en général, le taux de conformité des entreprises certifiées CanadaGAP est très élevé », écrit-elle.

Pascal Lecault, qui a reçu la visite, le 6 juin, de la firme Gestion Qualiterra, mandatée par CanadaGAP pour faire un audit dans le cadre de l’enquête, espérait, ce jour-là, récupérer son accréditation dans les plus brefs délais, affirmant avoir déjà subi des « impacts financiers assez énormes ».

« J’ai mis de la pression pour qu’ils considèrent que ce n’est pas des arbres qu’on attend de couper; ce sont des légumes. La longévité est pas mal moindre au champ », a soulevé le producteur maraîcher.

Sans être en mesure de dire combien de temps durera l’enquête dans ce cas-ci, Heather Gale a indiqué qu’une suspension peut durer un maximum de six mois, mais être levée beaucoup plus tôt. Tout dépendamment des résultats de l’enquête, des mesures correctrices peuvent être exigées du producteur.

« Une enquête peut inclure de nombreuses mesures, y compris un examen plus approfondi des documents et des dossiers, des discussions avec le producteur, la confirmation des politiques et procédures existantes de la ferme, la vérification de son respect des politiques et des exigences du programme applicables, un audit de la ferme déclenché sur place, et d’autres activités de suivi », détaille Mme Gale.


Mauvaise cible, selon l’UPA et le maire d’Oka

Le maire d’Oka, Pascal Quévillon, et l’Union des producteurs agricoles (UPA) jugent déplorable que la réputation d’un producteur agricole de leur secteur soit entachée alors que « les vrais coupables », selon eux, sont les gestionnaires du dépotoir illégal de Kanesatake. Le site, qui ne reçoit plus de matériaux et dont le permis du ministère de l’Environnement a été révoqué en 2020, n’a jamais été décontaminé, dénoncent-ils, malgré des signalements répétés de leur part, aux deux paliers de gouvernement, qu’ils blâment aussi pour leur inaction. Les contrevenants s’en sont tirés jusqu’ici avec 17 883,28 $ d’amende à payer.

Aux dires du président du Syndicat local de l’UPA de Deux-Montagnes, Philippe Leroux, depuis « l’événement médiatique » impliquant les Jardins Végibec, plusieurs autres producteurs du secteur se seraient fait poser des questions, à savoir si leurs cultures pouvaient être contaminées. Il estime que l’image de l’agriculture de façon générale est ainsi écorchée. « Depuis huit ans que ce site-là est en plein milieu de la zone agricole et que ça nous inquiète au plus haut point. […] On voudrait que le gouvernement du Canada prenne ses responsabilités une fois pour toutes et décontamine le site dans les plus brefs délais. »

Le maire Quévillon et ses confrères de Saint-Placide, de Mirabel ainsi que du conseil de bande de Kanesatake ont fait des représentations dans le même sens auprès du député local, pour que lui-même fasse pression à Ottawa.

Le ministère provincial de l’Environnement a indiqué dans un courriel que la décontamination du site situé sur des « terres de tenure fédérale » n’était pas de sa juridiction. Son homologue fédéral n’avait pas répondu à notre courriel au moment d’écrire ces lignes.