Bovins 7 août 2024

Une ferme de bœuf Highland rentable et fière de l’être

Saint-Édouard-de-Lotbinière – Une main sur la clôture de ses bovins, Louis Philippon regarde l’horizon de sa ferme avec le sentiment de la réussite, celle d’avoir créé son propre créneau dans la vente de bœuf et d’être rentable. « On ne fournit pas à la demande. Je refuse des clients. Et on arrive à bien en vivre. On fait vivre notre famille et on a la chance de travailler chaque jour dans un environnement magnifique », décrit celui qui ne connaissait rien à l’agriculture lorsqu’il a acheté la ferme avec sa conjointe, Stéphanie Fortin, à l’époque où ils étaient dans la quarantaine. 

Se démarquer et être constant

La Ferme Highland Lotbinière, située à Saint-Édouard-de-Lotbinière, dans Chaudière-Appalaches, envoie chaque semaine des bovins à l’abattage afin d’alimenter des boucheries spécialisées de Québec, de Montréal et de Sherbrooke, de même que quelques restaurants de la Vieille Capitale ainsi qu’un bassin de 1 000 consommateurs, qui achètent la viande sur le site transactionnel de l’entreprise. 

Le créneau de bœuf Highland nourri à l’herbe, sans utilisation de pesticides, d’engrais chimiques et d’hormones de croissance, fonctionne bien, dit M. Philippon. Le fait d’avoir développé une constance dans la qualité de la viande et une mise en marché diversifiée, incluant la vente de galettes à hamburger aux restaurants pour écouler des volumes de viande hachée, sont également tributaires du succès de la ferme.

Deux bâtiments pour abriter les animaux ont permis d’accroître le gain de poids de près de 33 %. 

Confort des animaux

Louis Philippon, qui a autrefois travaillé comme spécialiste en marketing pour la multinationale Johnson & Johnson, désigne un élément d’importance autant pour sa clientèle que pour sa conjointe et lui : le confort des animaux.

Toutes nos boucheries spécialisées et nos restaurants sont venus voir comment on élève nos animaux. Même chose pour plusieurs de nos particuliers. Ils voient qu’on ne fait aucun compromis sur le bien-être animal. Ça compte beaucoup pour eux.

Louis Philippon, Ferme Highland Lotbinière

Des gains concrets sont d’ailleurs associés au bien-être animal. « On a construit deux bâtisses pour que les vaches se mettent à l’abri l’hiver. Ça leur évite aussi, au printemps et à l’automne, de marcher dans la bouette jusqu’aux genoux pour se rendre à leur nourriture. La différence a été phénoménale, avec une augmentation de 33 % de gain de poids », décrit l’éleveur. Le sol desdits bâtiments est constitué de deux mètres de sable. « Le béton est très mauvais pour leurs pattes. Elles finissent par développer de l’arthrite, et n’ont pas de longévité », assure-t-il.

D’ailleurs, en faisant visiter sa ferme à La Terre, le producteur désigne quatre vaches âgées de 17 à 22 ans. « Celle de 22, même si elle ne produit plus, on la garde quand même. Elle a une valeur sentimentale. » Selon l’adage, ne faut-il pas s’abstenir de sentiments en affaires? « Oui, il y a des sentiments, et il faut des sentiments. Quand tu aimes tes animaux, ça fait une différence. Et je vais te dire de quoi, des vaches de 20 ans dans la production bovine, qui ont produit chaque année, c’est rare, et en même temps, ce sont les vaches les plus payantes », dit-il. 

La ferme est fière de compter quatre bêtes autour de la vingtaine. « C’est rare des vaches de 20 ans dans l’industrie bovine », souligne Louis Philippon.

Selon les Producteurs de bovins du Québec, moins de 1 % des vaches de boucherie au Québec ont plus de 20 ans lorsqu’elles sont envoyées à la réforme, la moyenne d’âge pour la réforme étant de 8 ans et 9 mois.

Les trucs du métier

Louis Philippon est d’avis que la différence entre faire de l’argent ou non avec un élevage bovin est la somme de plusieurs détails. « Nous autres, on ne fait pas de vêlage l’hiver. On ne veut pas en perdre. Tous nos vêlages ont lieu entre la mi-avril et la mi-juin et on est là de tous les instants. On a sauvé je ne sais pas combien de veaux. On les aide à boire sur la mère, etc. Notre taux de reproduction, c’est-à-dire les veaux qui se rendent jusqu’à l’abattoir, est de 96 % ici comparativement à 68 % pour la moyenne du Québec. Ce ratio est absolument majeur dans l’équation de la rentabilité », explique le producteur. 

Idem pour la qualité de l’alimentation. « On entend souvent dire que du bœuf, ça mange n’importe quoi. Je m’excuse, mais tu ne feras pas de la belle viande avec cette mentalité-là. Il te faut un apport en protéine et en énergie élevé pour bien développer le muscle et le persillage dans la viande. Et contrairement à ce que les gens pensent, le développement du persillage, ça commence jeune chez l’animal. Ça nous a pris près de six ans pour développer la recette. » 

Ladite recette consiste à donner une excellente qualité nutritionnelle de fourrage aux animaux, en misant sur de bons mélanges de plantes, comme la fétuque, le trèfle et le mil, lesquelles sont récoltées tôt, à leur stade de qualité optimal. La même attention est portée sur les mélanges de plantes servies au pâturage et les animaux qui y sont envoyés sont intégrés dans un système intensif de rotation des pâturages afin de maximiser la qualité de l’herbe.

Il faut que tu produises des carcasses belles et uniformes. Si tu en envoies une laide, une belle, une moyenne, il n’y a pas une boucherie spécialisée qui va te garder. La constance dans l’alimentation, c’est un gros point.

Louis Philippon
L’une des clés du succès, selon l’éleveur, consiste à ne pas trop perdre d’argent dans les achats d’équipement neuf. Il est heureux de pouvoir compter sur ce tracteur de 1986 « propre et en ordre ».

Louis Philippon croit que son vieux tracteur Ford 1986 fait aussi partie de sa recette du succès. « Ici, on a 450 arpents [154 hectares], tout en foin. Je fauche, je fane, je racle, j’épands mon fumier, mais je n’ai pas d’autres machineries. Je fais presser à forfait. J’ai un tracteur récent et le reste, ce ne sont que des vieux tracteurs propres et en ordre. La machinerie, tu ne gagnes pas de revenus avec ça. Les revenus, tu les fais avec des animaux qui te donnent de la viande. That’s it! » 

L’agriculteur et sa femme n’hésitent pas à faire des heures à la ferme, mais défense de travailler pour rien. « La structure organisationnelle, c’est pri-mor-di-al. On livre seulement dans un rayon près de Québec, et on condense toutes nos livraisons aux boucheries, aux restos et aux particuliers en une seule journée. Nos clients de Montréal et Sherbrooke sont livrés par l’abattoir directement. Si tu sors quatre fois par semaine pour des commandes de 500 $ à la fois, tu n’arriveras jamais. Et une boutique à la ferme, où les gens viennent n’importe quand, on n’en voulait pas, car on voulait une vie. » 


Louis Philippon et Stéphanie Fortin entourant Blanche, l'une de leurs filles. Photo : Martin Ménard/TCN
Louis Philippon et Stéphanie Fortin entourant Blanche, l’une de leurs filles. Photo : Martin Ménard/TCN

Un rêve réalisé

Stéphanie Fortin détient un diplôme universitaire en agronomie et travaillait pour une compagnie pharmaceutique en santé animale depuis une quinzaine d’années quand son conjoint et elle ont décidé de délaisser leur carrière respective pour démarrer leur élevage. « Elle m’avait toujours dit que son rêve, depuis qu’elle avait cinq ans, c’était d’avoir sa ferme. À un moment donné, je me suis levé un matin, et je lui ai dit : “Moi aussi, je suis rendu là. On le fait!” ». 

C’est ainsi qu’au tournant des années 2000, le couple a vendu sa résidence de Québec et décaissé ses REER pour acheter une ferme délabrée dans Lotbinière. Après avoir évalué l’élevage du sanglier et du wapiti, ils se sont tournés vers un produit plus populaire, le bœuf, en priorisant une race différente. « Sauf qu’au début, on faisait des marchés publics et les gens n’avaient aucune idée de ce qu’était du Highland. Certains pensaient qu’on élevait des bisons! Il a fallu travailler fort pour se faire un nom. Et dans les premières années, on n’avait pas beaucoup de revenus, mais beaucoup de dépenses, dont certains imprévus… On a failli perdre nos culottes. Après quatre ans, on s’est demandé si on continuait ou si on arrêtait avant de tout perdre », se remémore Louis Philippon. 

Tranquillement, le troupeau s’est mis à grossir et à produire davantage. Les éleveurs sont devenus plus performants et ont diversifié leur mise en marché.

Aujourd’hui, à 64 ans, M. Philippon savoure sa vie d’agriculteur. Sa ferme lui génère un bon revenu, dit-il. La valeur de ses terres a bondi, ce qui lui donne un fonds de pension plus élevé que s’il était resté à son ancien travail. ll préfère, de surcroît, le rythme de vie du milieu agricole. « Quand je travaillais pour la multinationale, […] je passais mon temps dans les avions et j’arrivais stressé et brûlé le vendredi soir. À la ferme, on travaille pour nous. On fait nos horaires, on prend nos décisions. Je suis bien plus heureux aujourd’hui. Et quand je regarde comment Stéphanie a bâti notre troupeau avec la génétique et tout ce qu’elle a fait ici, je pense qu’on a bien réussi, et j’en suis fier. »