Apiculture 22 septembre 2023

Un resserrement possible des normes bouscule le secteur du miel biologique québécois

Des producteurs de miel biologique s’inquiètent pour leur avenir alors que l’Office des normes générales du Canada (ONGC) pourrait resserrer les exigences reliées à l’alimentation des abeilles en hiver.

Dans le cadre de son processus de révision 2025, l’ONGC, par le biais du Comité technique sur l’agriculture biologique, étudie entre autres une proposition réclamant que les abeilles en régie biologique soient exclusivement nourries au miel. Cette forme d’alimentation, qui est la plus naturelle pour elles, est déjà celle qui est recommandée en priorité. 

Toutefois, la norme permettait jusqu’ici une certaine souplesse à cet égard, notamment là où l’hiver est plus rigoureux, comme au Québec. Ainsi, la pratique la plus répandue depuis de nombreuses années chez les apiculteurs biologiques de la province est d’offrir aux abeilles un sirop de sucre conventionnel pendant leur hivernation, puisque ce dernier est moins riche en minéraux que le miel. « Les minéraux contenus dans le miel accélèrent [la digestion] des abeilles, ce qui n’est pas l’idéal au Québec. Car avec le froid, elles ne peuvent pas sortir faire leurs vols de propreté afin de déféquer le surplus de minéraux en dehors de la ruche », explique Claude Dufour, apicultrice biologique à Lac-Etchemin, dans Chaudière-Appalaches. Ces déchets se retrouveraient ainsi à l’intérieur de la ruche pendant l’hiver, augmentant les risques de développement de maladies pathogènes. Si l’exigence de nourrir les abeilles exclusivement au miel entre en vigueur en 2025, l’apicultrice anticipe donc des pertes considérables dans ses colonies d’abeilles, qui ne sont pas adaptées à un tel changement, selon elle. « Ce serait la catastrophe », lance-t-elle.

L’intention de « sortir » de la norme

Une appréhension que partage le plus important producteur de miel biologique de la province, Miels d’Anicet, qui possède un cheptel de 1 200 ruches à Ferme-Neuve, dans les Hautes-Laurentides. L’entreprise, qui produit du miel biologique depuis 20 ans, prévoit « sortir » de la certification biologique si cette nouvelle règle entre en vigueur. « Économiquement parlant, ça ne marcherait pas. Ça demanderait un volume de 25 à 30 kg de miel pour faire passer une ruche à travers l’hiver. On n’aura même pas ça, cette année, par ruche. Ça voudrait donc dire qu’on ne pourrait plus vendre de miel, qu’il n’y aurait pas de rendement économique au niveau de la production, craignent les copropriétaires, Anicet Desrochers et Anne-Virginie Schmidt. On ne connaît pas non plus ce que ça ferait sur la santé des abeilles », ajoutent-ils.

Une étude en cours

Devant ces craintes, qui ont été soulevées dès 2020, les Apiculteurs et apicultrices du Québec (AADQ), avec l’appui du Conseil canadien du miel (CCM) et le soutien financier de trois autres regroupements d’apiculteurs d’autres provinces canadiennes, ont demandé au Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD) de conduire une étude sur le sujet. L’objectif est d’évaluer quels effets pourrait avoir un changement de régime pour les abeilles mellifères pendant leur saison d’hivernage. 

Les résultats permettront aux AADQ et au CCM d’intervenir plus efficacement auprès du Comité technique sur l’agriculture biologique si les résultats démontrent que les changements proposés à la norme peuvent nuire aux abeilles. 

L’étude évalue en fait deux types de nourrissage, tous deux envisagés dans la révision 2025 : au miel et au sucre biologique. « Ces deux méthodes sont comparées au nourrissage conventionnel, c’est-à-dire avec un sirop de sucre non biologique, mais sans OGM », précise Laurence Plamondon, professionnelle de recherche au CRSCAD.

La première phase de l’étude, qui s’est déroulée au centre de recherche, est terminée et les résultats préliminaires pourraient être révélés cet automne, affirme Mme Plamondon. La seconde phase de la recherche, qui vient de commencer, consiste à « répéter ce qui a été fait dans la première phase, mais sur le terrain, avec la collaboration de deux apiculteurs biologiques qui ont accepté d’y participer », explique-t-elle. Cette dernière étape se conclura à la fin de l’hiver 2024.