Porc, houblon et soya : à chacun sa spécialité

SAINT-ÉDOUARD-DE-LOTBINIÈRE — Aux abords du rang Saint-Charles, les trois maisons d’Aline et Fernand, de Steve et de Sébastien se répondent.  Le reste de la fratrie est éparpillé un peu partout dans la région. Les Lemay comptent maintenant 18 petits-enfants et un arrière-petit-enfant attendu pour septembre. De quoi assurer la relève, qui est déjà bien investie.

Lorsque Fernand et Aline Lemay décident de revenir dans le secteur de Lotbinière en 1973, à l’âge de 26 et de 25 ans, après quelques années passées dans le nord de l’Ontario, ils achètent d’abord une porcherie d’engraissement à Saint-Apollinaire. Fernand transforme le tout en maternité et le couple nomme la Ferme Double L.L en clin d’œil à Lemay, le nom de jeune fille d’Aline étant le même que celui de son mari. « Ils n’ont pas la même parenté », précise leur belle-fille Mélanie Poulin. 

Fernand saute ensuite sur une occasion à Saint-Édouard-de-Lotbinière. Une terre, à une vingtaine de kilomètres à l’est. Ils y emménagent avec leurs trois premiers enfants. L’entreprise grossit, annexant les terres de pâturage voisines, que Fernand et ses fils transforment en grandes cultures pour nourrir les porcs et atteindre l’autosuffisance. Seuls les surplus de soya sont maintenant vendus à l’extérieur.

Un accident qui change la donne

Dans la maison qu’elle occupe toujours à 76 ans, Aline a élevé une fratrie de cinq garçons et deux filles. « J’ai eu des garçons qui bougeaient beaucoup : motocross, moto quatre roues… », se rappelle Aline. C’est d’ailleurs l’une de ces activités qui a coûté la vie de son deuxième fils, Nicolas, en 2001.

L’événement change la donne pour Steve, alors établi à Sainte-Croix et propriétaire, avec sa conjointe Mélanie, d’une ferme de chèvres laitières. Même s’il s’impliquait déjà dans l’entreprise familiale de Saint-Édouard-de-Lotbinière, il ne peut plus faire les deux, et la Ferme Double L.L. a besoin de bras. Steve et Mélanie doivent vendre les chèvres et leur maison. « Ç’a été une claque dans la face », se souvient Mélanie.  Le couple s’installe alors de l’autre côté de la rue et mijote un nouveau projet.

Quand tu es heureux dans ce que tu fais, c’est presque une évidence [que ton enfant] fera ça aussi.

Mélanie Poulin

Le défi du houblon

En 2013, les deux agriculteurs optent pour la culture de houblon. Cette plante à fleurs produit des cônes au goût amer destinés aux microbrasseries du pays et d’ailleurs. « On a même livré en Pologne la semaine dernière », relate fièrement Mélanie.

En ce début de printemps, deux travailleurs mexicains s’affairent à accrocher des cordes aux 500 poteaux de 25 pieds qui se dressent dans le champ, d’imposants tuteurs qui permettront à cette plante vivace de grimper. Sur 30 acres (12 hectares), ils cultivent maintenant 30 000 plants issus de 14 variétés, faisant d’eux l’un des plus gros producteurs au Canada. 

Dernièrement, le contexte économique difficile a toutefois eu raison de plusieurs microbrasseries, leurs principaux clients. « On est à trier les bons et les ­mauvais payeurs », explique Steve. 

Mélanie Poulin a démarré la production de houblon avec son conjoint Steve en 2013.

La relève assurée

La famille Lemay ne manque pas de relève intéressée. Trois des petits-enfants d’Aline et Fernand ont déjà des parts dans l’entreprise. C’est le cas d’Emie, 21 ans, la fille de Sébastien, qui, après avoir terminé son cours en gestion agricole à La Pocatière, s’occupe maintenant des 500 truies et de la meunerie. 

« Quand elle était petite, elle prenait un cochon et le domptait dans le champ », raconte sa mère, Isabelle. Même si elle ne peut plus avoir une telle promiscuité avec les bêtes pour des raisons de biosécurité, elle aime toujours autant les animaux. « J’aimerais peut-être avoir des vaches à bœuf un jour », lance-t-elle. Mais son grand-père Fernand, qui a aussi tenté l’expérience, la remet à l’ordre gentiment : « Ce n’est pas assez payant. »

Avec sa longue moustache, Fernand ne laisse pas sa place. À 77 ans, il est encore actif à la ferme.  « Il s’occupe des voyages de roches », dit Steve, à la blague. 

Fernand est fier du travail accompli, mais il souhaiterait bien que les membres de l’entreprise remettent en place une tradition : des rencontres une fois par mois pour discuter des défis de la ferme.  Dans le brouhaha du quotidien, ces occasions de se réunir sont rares. « C’est tellement important, la communication entre les membres de la famille et les employés », insiste Aline. « Les projets, tu mets ça sur la table parce que sinon, tu ne sais pas où tu t’en vas », ajoute-t-elle.  

Emie Lemay s’occupe maintenant des 500 truies et de la meunerie. Photo : Gracieuseté d’Emie Lemay

Le bon coup de l’entreprise

La Ferme Double L.L. s’est dotée de nouvelles technologies aux champs il y a dix ans. Cet investissement d’environ 100 000 $ a été le fruit de nombreuses discussions, parfois ardues, entre les frères propriétaires, Sébastien et Steve. Depuis, ils ne reviendraient pas en arrière. Les écrans avec GPS installés sur les tracteurs et les nombreux capteurs aux champs ont démontré leur efficacité. Ces technologies permettent de cibler l’arrosage seulement sur les parcelles de terre qui en ont besoin et d’économiser sur les semences, aucune graine n’étant plantée en trop. 

Fait maison

Dans la grange, une curieuse machine occupe tout l’espace. Il s’agit d’une récolteuse à houblon que Steve a fabriquée lui-même en un hiver en s’inspirant de ce qui existe aux États-Unis. « J’ai fait les plans sur un bout de papier et j’ai fabriqué les pièces », ­souligne-t-il humblement. Les cordes remplies de houblon se retrouvent sur les crochets de l’engin, qui sépare ensuite les feuilles pour ne conserver que les cônes. Après trois ans d’ajustement, l’équipement est rodé et ne déçoit pas son créateur. « Ça va plus vite et c’est plus performant qu’une machine achetée », assure-t-il. 

Après trois ans d’ajustement, l’équipement est rodé et ne déçoit pas son créateur, Steve Lemay.
Fiche technique
Nom de la ferme :

Ferme Double L.L et Les Élevages Lemay (production porcine)

Spécialités :

Grandes cultures (soya, maïs, blé et orge), houblon et porc (naisseur-finisseur)

Année de fondation :

1973

Noms des propriétaires :

Steve et Sébastien Lemay

Nombre de générations :

3

Superficie en culture :

2 100 acres (850 hectares)

Cheptel :

500 truies élevées sans antibiotiques

Avez-vous une famille à suggérer?
[email protected] | 1 877 679-7809


Ce portrait de famille est présenté par