Ma famille agricole 17 octobre 2023

Entre fraises sucrées et barbotines

SAINT-BRUNO-DE-GUIGUES – En 1983, la famille Olivier a fait le pari audacieux de cultiver des fraises en Abitibi-Témiscamingue. Trente ans plus tard, la deuxième génération prend graduellement la relève, mais le couple fondateur suit d’un œil attentif l’évolution de la ferme maintenant diversifiée dans le maraîchage et la transformation. Il a même converti la maison familiale en résidence multigénérationnelle pour faciliter le transfert de l’entreprise à sa fille Madeleine.

Les agronomes Sylvie Côté et Normand Olivier savaient dès qu’ils ont mis les pieds au Témiscamingue qu’ils voulaient cultiver de la fraise, entre autres pour contourner l’obstacle de la mise en marché dans les régions éloignées. « On avait deux exigences : on voulait de bons sols et une source d’eau pour irriguer. Et ce qu’on voulait, c’est d’être capables de faire quand même un peu de volume sans être obligés d’engager trop pour la cueillette. La seule porte de sortie était l’autocueillette », raconte la productrice. 

« Ce n’étaient pas des sols très argileux, contrairement à la majorité des sols qu’on retrouve ici. On est dans une plaine un peu plus sableuse, donc avec des textures qui sont plus intéressantes pour le travail du sol. On était central, pas très loin des marchés. [D’un point de vue] climatique, c’est probablement la zone la plus chaude du Témiscamingue, déjà avantagé par rapport à l’Abitibi », ajoute Normand Olivier, spécialiste des sols, qui a lui-même travaillé à la réalisation de la carte des sols de la région. 

Le cofondateur Normand Olivier pose devant la maison familiale, qui a subi un agrandissement pour en faire une résidence multigénérationnelle. Photo : Émilie Parent-Bouchard

Diversification par l’intérieur

Le couple a continué de travailler à l’extérieur de la ferme tout en élevant sa famille et en maintenant le projet agricole en parallèle. Après avoir ajouté framboises et maïs à la production, il a donné un nouvel élan à l’entreprise en se dotant, en 2002, d’un permis artisanal de fabrication d’alcool pour valoriser les pertes. « Dans le temps, il n’y avait pas de marché local. Donc, toutes les fraises non vendues, on a commencé à les transformer, d’abord en alcool, ensuite en jus et en barbotine », énumère Sylvie Côté.

Puis, surprise, en 2018, après une carrière de plus de 10 ans comme ingénieure d’automatisation, la fille du couple a décidé de revenir à ses premiers amours. Madeleine Olivier souhaite offrir à ses petits une enfance comme celle qu’elle a connue, où il y a « tout cet espace pour courir, jouer et découvrir ».
« Les paysages agricoles me manquaient. J’avais une occasion exceptionnelle de reprendre une entreprise bien enracinée au Témiscamingue et qui me permet de toucher à la science et à l’entrepreneuriat tout en restant créative », témoigne-t-elle, précisant que ça lui permet aussi de savoir ce qu’il y a dans son assiette. 

La néo-fermière – pour qui la « première raison pour être agricultrice est la gourmandise » – avoue que la transition ne s’est pas faite sans craintes, notamment en lien avec l’idée d’habiter avec ses parents. « Finalement, ça va bien. On a survécu à des années stressantes de transfert, de diversification, de croissance et de COVID. Le défi, c’est de ne pas se mettre à parler de travail à la table du souper, puis d’arriver à se créer des espaces où on est dans la vie, pas au travail », dit celle dont la venue a donné une nouvelle impulsion à la ferme, notamment par l’introduction de nouveaux légumes cultivés et de produits transformés, dont des tisanes et des mélanges à frotter confectionnés à partir de légumes et d’herbes déshydratés. 

Avec des projets plein la tête (développement de sentiers d’interprétation sur la portion boisée de la terre, renforcement du volet agrotouristique axé sur l’expérience et l’écotourisme, dotation d’un permis de terrasse, etc.), Madeleine attire déjà l’attention sur la scène provinciale, elle qui est en lice pour le prix Tournez-vous vers l’excellence! de La Financière agricole du Québec.

« C’est sûr qu’on a une fierté comme parents. Elle a pris en main plusieurs aspects de l’entreprise et je suis bien content qu’elle ait une forme de reconnaissance par des gens qui observent l’entreprise et qui la mettent en valeur. On verra si l’autre relève peut être intéressée, mais ils sont encore petits. On va leur laisser le temps de faire leurs expériences ailleurs », conclut Normand Olivier. Un peu comme l’a fait Madeleine, finalement.  

Bob le Chef, de passage au Témiscamingue, cet été, dans le cadre de la Tournée Mangeons local, a déclaré que les fraises de Nordvie étaient les plus sucrées du Québec. Photo : Émilie Parent-Bouchard

Le bon coup de l’entreprise

Planifier la transition vers la deuxième génération sur plusieurs années permet aux deux générations d’Olivier de réduire les risques liés au transfert d’entreprise. « Le modèle qu’on a, c’est qu’on n’a pas vendu la terre à Madeleine. Si on lui avait vendu la terre, elle n’arriverait pas. Et si elle décide de partir et qu’on vend la terre, on n’a pas tout donné et il ne nous reste rien après. Il faut envisager qu’il peut arriver n’importe quoi qui fait que l’entreprise peut arrêter. En achetant juste Nordvie et [en adaptant] la maison, ça nous permet de nous loger ici et d’avoir les mêmes facilités. Quand tout le monde s’entend et que ça va bien, pourquoi pas? » lance Normand Olivier.

Norbert affectionne particulièrement la barbotine confectionnée à partir des fraises, des framboises et de la rhubarbe produite par la ferme familiale. Photo : Émilie Parent-Bouchard

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S’attarder au développement des marchés en amont

« Souvent, dans le maraîchage, quand tu t’adresses à la vente directe, on néglige cet aspect-là. Et on devrait commencer par ça. Parce que produire, c’est difficile, mais vendre, ç’a l’est encore plus », fait valoir Sylvie Côté.

Suivre les tendances

La Ferme Nordvie n’a pas hésité à faire la transition d’une agriculture raisonnée vers la certification biologique afin de répondre aux demandes des consommateurs. La même chose s’est produite avec l’idée de développer l’écotourisme à la ferme. « Pour être en affaires, ce qu’il faut aussi, c’est d’avoir différentes stratégies et de t’adapter. On fait du développement stratégique, on révise toujours nos plans. À un moment donné, on était beaucoup dans l’événementiel. Mais maintenant, on essaie plutôt d’amener les gens ici », poursuit Mme Côté, en référence à la boutique à la ferme maintenant ouverte quatre jours par semaine, à l’autocueillette et aux nombreux projets sur la table à dessin.

Développer l’entreprise de l’intérieur

La Ferme Nordvie attache une importance particulière à la recherche et au développement de nouveaux produits. Pendant la pandémie, une cousine a rejoint l’équipe pour se consacrer à cette tâche. « On l’a kidnappée pendant la COVID! rigole Madeleine Olivier. Elle fait les recettes de tisanes et développe les recettes des produits déshydratés. » 

Madeleine Olivier fait des essais en serres pour agrémenter ses tisanes. Elle fait entre autres pousser du gingembre, du curcuma ainsi que diverses herbes aromatiques. Photo : Émilie Parent-Bouchard
Fiche technique 🍓
Nom de la ferme :

Ferme Nordvie

Spécialité :

Fraises, maraîcher et produits transformés

Année de fondation :

1984

Noms des propriétaires :

Sylvie Côté, Normand Olivier et Madeleine Olivier

Nombre de générations :

2

Superficie en culture :

8,7 hectares de cultures en champs et sous abris


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