À coeur ouvert 11 octobre 2023

Sommes-nous trop « émotifs » en agriculture? 

Ça fait plusieurs fois que nous entendons la remarque selon laquelle on fait de l’agriculture de façon émotive au Québec. Que les productrices et producteurs laissent leurs émotions prendre trop de place au quotidien et que cela teinte leur jugement quant à la gestion de leurs entreprises. Que dans l’Ouest canadien ou aux États-Unis, « une business est une business » et que les décisions doivent être basées strictement sur des faits rationnels pour que tout fonctionne de manière efficace et efficiente. 

Cela nous a fait réfléchir. Loin de nous l’idée de vouloir lancer des pierres. Seulement, nous constatons que ce genre de commentaires provient généralement d’acteurs issus du milieu financier. C’est correct, cela fait partie des caractéristiques de leur rôle de devoir analyser les chiffres avec détachement. Comme c’est justement notre rôle de jouer avec « les zémotionnnns » et de mieux les comprendre. Nous avons réfléchi et en sommes venues à la conclusion que ce discours entourant l’émotivité manque franchement de nuances.

Entendons-nous sur le fait que le processus de prise de décisions au sein de nos entreprises doit accorder beaucoup d’importance au caractère rationnel de la chose; c’est essentiel. Sauf qu’il y a un « mais ». Si on ne tient pas compte des aspects émotionnel et humain qui sont en jeu, comment peut-on s’assurer que nos décisions sont en cohérence avec nos valeurs et nos aspirations? 

Nous voyons régulièrement des gens dire qu’ils sont « face à un mur », ressentant un décalage trop grand entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils souhaitent vivre. Par exemple, un jeune de la relève qui souhaite investir pour démarrer sa propre entreprise maraîchère se bute au fait que son projet n’est pas viable au regard des taux d’intérêt actuels. Résultat : désillusion et perte d’espoir. Autre exemple : un cédant souhaite vendre son entreprise à un acheteur non apparenté parce qu’il veut éviter que sa relève connaisse la même vie de sacrifices que la sienne. Bref, qu’on le veuille ou non, la particularité des fermes familiales réside exactement là. Tout est imbriqué, tout entre en ligne de compte, et c’est encore plus vrai parce que le travail et la famille ne font souvent qu’un. 

Il y a des avantages et des inconvénients au fait de s’investir émotionnellement sur le plan professionnel. De notre point de vue, c’est entre autres ce qui caractérise la beauté de l’identité des productrices et producteurs québécois, tout comme les valeurs familiales, qui y occupent une place de choix. On le ressent quand on discute avec vous; l’entourage est au cœur de vos vies, même si vous avez souvent l’impression de le négliger. Il est vrai que certaines décisions sont difficiles à prendre dans le cadre de votre travail, voire déchirantes. Les émotions font partie intégrante de la vie de chacun d’entre nous, et heureusement, parce qu’en cas contraire, nous passerions à côté des petits moments de bonheur comme l’émerveillement lors d’une naissance ou l’appréciation d’un beau coucher de soleil sur la terre familiale.

Il est important de se rappeler que peu importe la taille de l’entreprise et le modèle d’affaires, les émotions ont toujours leur place. Parfois, pour le mieux, parfois, pour le pire. Arrêtons de croire que pour prendre de bonnes décisions, celles-ci doivent être exemptes d’émotion. Le côté émotif et le côté rationnel peuvent très bien coexister pour que votre entreprise porte votre propre couleur, qu’elle vous ressemble et que vous y soyez bien. Tout est une question d’équilibre. Pourquoi se battre contre nos émotions et véhiculer le discours « qu’on devrait donc les laisser à la maison »? Nos émotions sont utiles et ont leur raison d’être. Elles peuvent être nos alliées. N’oublions pas que les humains ne sont pas des machines. Les robots sont juste bons pour tirer les vaches, et encore.   


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