À coeur ouvert 5 septembre 2023

Les mots d’un fils à son père 

Le 10 septembre de chaque année, on consacre une journée dans le monde à la prévention du suicide. Ironie cruelle du sort, le père de Gabriel, producteur laitier, s’est enlevé la vie un 10 septembre. Les personnes qui mettent fin à leur vie croient souvent être devenues des fardeaux pour leurs proches, croient qu’ils seront mieux sans elles, croient qu’elles pourront mieux veiller sur eux de là-haut. Dans mes recherches sur le suicide des agriculteurs, je me suis souvent demandé : « Et s’ils avaient pu voir l’amour de leur famille, la peine et la souffrance devant leur geste, l’auraient-ils posé? » 

Gabriel a traversé une période extrêmement sombre à la suite de la perte de son père. Pour s’en sortir, il a eu recours aux mots. Trois ans de textes où il parle de tout à son père. Il exprime, entre autres, que sa mort ne l’a pas soulagé d’un poids, mais, au contraire, l’a laissé avec un immense trou au cœur. Je vous présente des passages extrêmement touchants pour illustrer le parcours de ce jeune survivant. 

« Je prends ma plume ce soir pour vous parler de ma détresse. Il a laissé un énorme trou noir. Ça me fait mal. Ça me consume. Je sens en moi un vide. La seule figure paternelle qui me reste n’est qu’un lampion… 

J’écris pour tenter de faire vivre ta mémoire à travers mes doigts qui glissent sur le clavier. J’écris parce que c’est le seul moyen où je suis capable d’entrer en contact avec toi, ou du moins platoniquement. Je sens qu’ils oublient… qu’ils oublient la mémoire d’un homme grand, d’un père aimant, d’un père souriant et de son fils qui meurt et naît chaque jour. D’un fils qui court après sa vie. 

Sans aucun doute ni hésitation, tu encaissais bien plus que ce que tu pouvais en prendre, et tout ça juste pour notre bien-être, ou bien n’était-ce que pour l’honneur? T’es-tu donné la mort par honneur? T’es-tu sacrifié pour espérer un meilleur ­avenir? Est-ce que tu regrettes? Peux-tu me parler? Me donner une réponse? Est-ce que ça en valait vraiment la peine? Oui, je suis en colère contre toi. Une colère alimentée par un amour asséché de ta part. Mais sache que cette colère ne cache que le chagrin et le désespoir d’un garçon qui ne voulait qu’avoir un père.

Si seulement je pouvais venir te dire à quel point cette personne a laissé un énorme trou à l’intérieur de moi. Si tu savais à quel point j’aimerais qu’on se revoie. Cet être était tout pour moi, une proue, quelqu’un qui défrichait le chemin devant moi pour que j’avance avec plus de facilité. C’est moi qui te le dis, papa, il n’y avait pas d’amour comme le nôtre. Je me rappelle à quel point, ensemble, on était extraordinaires… On pouvait tout accomplir. Le trou que tu as laissé n’a qu’une seule forme, la tienne. On ne peut pas faire entrer un carré dans un triangle, c’est bien connu! Alors, dis-moi. Comment vais-je faire pour remplir ce trou alors que seul toi détiens la pièce maîtresse pour le combler?

Est-ce le travail d’une vie d’accepter la mort par suicide d’un parent alors que c’est lui qui est supposé nous montrer comment marcher et avancer dans ce monde?

Gabriel a réussi à traverser cette terrible épreuve. Voici ses mots d’aujourd’hui : « À tous ceux et celles qui se sont perdus dans le silence. Qui sont seuls dans l’obscurité. Qui ne trouvent plus de sens sur la traversée de leur chemin. Qui portent en eux, et avec eux, le poids encombrant de leur souffrance. Ne cachez pas votre visage, tournez-le vers le soleil, il saura quoi faire pour vous illuminer. »  

Amener des agriculteurs à se tourner vers le soleil, à rechercher de l’aide, à entrevoir des solutions, c’est un défi d’Au cœur des familles agricoles. Nous y consacrons plus qu’une journée dans une année.  


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