Vie rurale 23 février 2022

Les fermes de plus en plus nombreuses à se faire « voler » leurs TET

SAINT-RÉMI – La productrice maraîchère Brigitte Pigeon, de Saint-Rémi en Montérégie, connaissait le phénomène grandissant des travailleurs étrangers temporaires (TET) qui délaissent les fermes une fois arrivés au Québec pour se tourner vers un autre domaine, mais était loin de s’imaginer qu’elle se ferait faire le coup.

Surtout qu’elle accorde une grande importance au bien-être de ses TET, qu’elle traite comme des membres de la famille. Sa ferme a d’ailleurs remporté le concours Ma ferme, mon monde d’AGRIcarrières en 2020 pour ses bonnes pratiques en gestion des ressources humaines. C’est donc avec stupéfaction qu’elle a découvert en septembre que deux de ses employés guatémaltèques avaient plié bagage en douce. « C’étaient deux frères, dont un travaillait pour nous depuis 2009, raconte la productrice. Ils ont préparé leur coup pendant la fin de semaine et sont partis sans rien dire. [L’un d’eux] m’a juste écrit par après pour s’excuser, mais on n’a pas eu plus de détails », ajoute-t-elle. « On pense qu’ils sont encore à Montréal. On le voit sur Facebook », renchérit sa nièce,
Brielle Pigeon.

L’entreprise Patates Dolbec, dans la MRC de Portneuf, a subi le même sort juste avant Noël. Les producteurs de pommes de terre ont perdu d’un coup sept travailleurs qu’ils avaient fait venir de Madagascar. « Ça a été une claque dans la face. On est tous assommés de la situation », témoigne Véronique Pageau, assistante aux ressources humaines.

L’entreprise Patates Dolbec embauche environ 67 TET qui sont payés au salaire minimum ou plus, selon les échelons et la catégorie de poste occupé. Photo : Gracieuseté de Patates Dolbec
L’entreprise Patates Dolbec embauche environ 67 TET qui sont payés au salaire minimum ou plus, selon les échelons et la catégorie de poste occupé. Photo : Gracieuseté de Patates Dolbec

Recrutés à l’épicerie

Équipe Sarrazin, qui offre des services d’attrapage de volailles aux abattoirs comme Exceldor, témoigne avoir perdu pas moins de 54 travailleurs étrangers temporaires depuis juillet 2021 au profit de recruteurs du secteur de la construction ou d’agences de placement qui les sollicitent à l’épicerie les samedis et les dimanches. « C’est un vrai fléau, rapporte Yves Sarrazin, président de l’entreprise basée à Granby, en Estrie. Ça nous coûte entre 3 000 et 4 000 $ pour faire venir un travailleur jusqu’ici, en plus de prendre plusieurs mois, puis on se le fait voler par d’autres qui peuvent leur donner de plus gros salaires justement parce qu’ils n’ont pas payé ces frais-là », déplore-t-il.

Pour l’année 2021, 264 TET qui transigent par l’entremise de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME) ont quitté leur employeur, soit pour aller aux États-Unis ou dans un autre secteur d’activité. Il s’agit d’une hausse considérable par rapport à 2019 et 2020, alors qu’une centaine de déserteurs par année étaient recensée. Le directeur général Fernando Borja attribue cette augmentation à plusieurs facteurs, notamment à des initiatives du fédéral qui favorisent la mobilité.

Le recrutement au noir décrié

Avec le phénomène de pénurie de main-d’œuvre qui s’accentue, Julio Lara, représentant au syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, remarque que des employeurs d’autres secteurs, par exemple de la construction, sont prêts à tout pour recruter des travailleurs étrangers en leur proposant des salaires élevés et en leur affirmant parfois qu’ils ont en main les papiers légaux requis pour les accueillir, alors que c’est faux. « Les travailleurs sont exposés à plus d’exploitation. Ils se retrouvent à travailler au noir sans le savoir; ça, on le voit. Ils se font promettre de meilleures conditions de travail, alors que ce n’est pas ce qui arrive », dit-il. Michel Pilon, du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles dénonce un phénomène similaire.

« Il faut rappeler aux travailleurs que le salaire promis par des beaux parleurs, ce n’est pas tout. Quand ils travaillent à la ferme, ils ont un logement qu’ils payent seulement 30 $ par semaine, alors qu’ailleurs, le logement ne sera pas nécessairement fourni », exprime-t-il, soulignant qu’un comité a justement été créé récemment, en collaboration avec FERME et l’Union des producteurs agricoles, entre autres, pour voir comment sensibiliser et mieux informer les TET de ces risques.

Avec la collaboration de Patricia Blackburn


Pour lire un dossier complet sur le sujet, lisez l’édition du 23 février 2022 de La Terre de chez nous.