Vie rurale 8 mai 2020

Des incitatifs qui désavantagent les travailleurs d’expérience

Les primes du gouvernement visant à attirer les Québécois dans les champs ne font pas le bonheur de tous. Les travailleurs saisonniers d’expérience qui gagnent entre 14 $ et 17 $ de l’heure auront, en fin de compte, un salaire moins élevé que les nouveaux travailleurs admissibles à l’aide de l’État cette saison.

« Notre secteur, qui valorise l’expérience et les compétences des travailleurs et travailleuses saisonniers récurrents, se sent clairement sacrifié, et la mesure qui nous apparaissait un excellent moyen de valoriser publiquement notre profession nous semble désormais réservée aux grandes entreprises dont la main-d’œuvre est en grande partie étrangère », s’est insurgée la copropriétaire de la Ferme Croque-Saisons, Caroline Poirier, dans un ­message Facebook diffusé le 26 avril et partagé plus de 350 fois.

La productrice maraîchère de Lingwick, en Estrie, embauche huit employés saisonniers, dont seulement deux travaillent au salaire minimum, étant donné qu’ils sont nouveaux. Les six autres, qui cumulent quelques années d’expérience à la ferme ou ont une formation collégiale, gagnent entre 14 $ et 17 $ de l’heure. « C’est un véritable casse-tête », réagit celle qui est aussi ­présidente de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) en entrevue avec La Terre, estimant que ses travailleurs d’expérience, dont le revenu « est loin d’être exorbitant » se retrouvent abandonnés par le système.

Échelle salariale à la ferme

La copropriétaire de la Ferme aux petits oignons, Véronique Bouchard, engage quant à elle une vingtaine de travailleurs saisonniers, dont certains reviennent depuis sept ans. « On prend la peine de mettre en place une échelle salariale à la ferme qui tient compte de l’expérience, de l’ancienneté et de la formation et qui permet d’aller chercher jusqu’à 20 $ de l’heure. On crée différents postes avec différents niveaux de responsabilités pour donner aux employés des possibilités d’avancement, pour qu’ils soient heureux chez nous et qu’ils aient envie de rester. Et le gouvernement vient tout gâcher en offrant des primes qui s’adressent seulement aux gens sans expérience qui gagnent le salaire minium », témoigne l’agricultrice, qui compte cinq nouveaux venus dans son équipe cette saison. « Comment vais-je expliquer à mon employé qui travaille avec moi depuis sept ans que le petit nouveau fera plus que lui ? »

Négociations en cours

Le directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, Jocelyn St-Denis, reconnaît la pression qu’engendre cette situation pour les agriculteurs, considérant que plusieurs n’ont pas les moyens d’assumer les frais pour hausser les salaires de leurs travailleurs d’expérience. Également au fait de cette problématique, la directrice générale du comité Agricarrières, Geneviève Lemonde, a assuré, le 30 avril, que des négociations étaient en cours avec Québec pour que les employés agricoles qui gagnent « un peu au-dessus du salaire minimum » soient admissibles à une prime.

Détail des primes aux nouveaux venus

Québec accorde cette année une prime de 100 $ par semaine, qui s’ajoute au salaire minium versé par l’exploitant agricole, à tous les employés saisonniers travaillant au moins 25 heures par semaine à la ferme. Ces mêmes travailleurs, s’ils touchent un salaire brut hebdomadaire de 550 $ ou moins (soit l’équivalent de 40 heures de travail par semaine à 13,75 $ de l’heure), sont également admissibles au Programme incitatif pour la rétention des travailleurs essentiels (PIRTE) et peuvent aller chercher une seconde prime de 100 $ par semaine. La main-d’œuvre saisonnière agricole qui fait 13,10 $ de l’heure peut donc, avec ces programmes, retirer du gouvernement entre 4 $ et 8 $ de l’heure de plus par semaine, pour 25 heures de travail.