Des fleurs au cœur du royaume

SAINT-FULGENCE  —En 1911, Laure Gagnon et Richard Tremblay ont bâti leur ferme en plein cœur du royaume du Saguenay, à mi-chemin entre le fjord et les monts Valin. Un siècle plus tard, leur arrière-petit-fils Sylvain et sa conjointe Karine Desbiens poursuivent le rêve de ces pionniers.

Karine Desbiens se souvient très bien du moment où elle a ressenti l’appel de la terre. Ce jour-là, cette secrétaire médicale venait de terminer sa première semaine de travail dans un bureau, après avoir passé plusieurs années à élever sa famille dans la ferme horticole de ses beaux-parents. 

Depuis des générations, la famille Tremblay cultive des pommes de terre à Saint-Fulgence.

« C’est là, assise derrière un bureau, que j’ai réalisé à quel point j’aimais le travail physique à la ferme », raconte celle qui a grandi dans une famille d’entrepreneurs en construction de Jonquière. Sans hésitation ni regret, elle a remis sa démission avec en tête une idée bien arrêtée.  

À son retour à la maison, elle a donné sa bénédiction au projet d’acheter la terre ancestrale, au grand bonheur de son conjoint, Sylvain Tremblay. Ce diplômé en agriculture du cégep d’Alma en 1995 attendait depuis longtemps l’occasion de prendre possession de la ferme. Il avait travaillé pour ses parents pendant 10 ans avant de prendre un emploi d’opérateur à l’aluminerie Rio Tinto, en 2010.

« Mes parents ne voulaient pas vendre leur ferme à l’époque, et je les comprends. Ma mère aimait encore ce qu’elle faisait. Il me fallait juste attendre le bon moment. En 2015, tout s’est mis à débouler. Mes parents étaient prêts, et Karine aussi », confie Sylvain. 

Sa mère, Agathe Lapointe, provient d’une célèbre famille d’horticulteurs de la région. Elle a convaincu son mari, Richard Tremblay, de lancer leur propre production de fleurs ornementales au début des années 1980 par la construction d’une première serre. 

Le succès ne s’est pas fait attendre. La ferme des Tremblay, productrice de moutons, de bovins et de pommes de terre depuis le défrichage de ses terres, s’est rapidement transformée en un prospère complexe de serres. Sa production de fleurs ornementales et de plants de légumes était vendue partout dans la région de Chicoutimi.

Aujourd’hui, la ferme de 500 acres (200 hectares) compte 14 serres et fournit de l’emploi à une dizaine de travailleurs. Une centaine d’acres est consacrée à la culture de pommes de terre et une forêt couvre aussi une grande partie des terres.

Double emploi

Faire pousser des fleurs tout au nord de la zone boréale n’est pas banal. Dès février, les semis doivent être lancés et les boutures doivent être mises en terre pour s’assurer que les plantes seront matures au printemps. La température des 14 serres doit donc être maintenue au-dessus de 18 °C, et ce, malgré une moyenne nocturne de -19 °C à cette latitude. La simple tâche d’alimenter les fournaises au bois, jour et nuit, est pratiquement un emploi à temps plein.

C’est là, assise derrière un bureau, que j’ai réalisé à quel point j’aimais le travail physique à la ferme.

Karine Desbiens

Cette charge de travail n’a pas convaincu Sylvain Tremblay de quitter son poste chez Rio Tinto. « Mon emploi à l’aluminerie me procure une certaine sécurité financière par rapport à la ferme. Et puis, mon horaire de travail me permet de tout concilier », dit-il en insistant sur le partage des tâches avec sa conjointe. 

Le couple peut aussi compter sur l’aide de leurs deux enfants, qui se préparent à prendre la relève à leur tour. Samuel, âgé de 23 ans, a fait des études collégiales en agriculture et en mécanique industrielle. Sa sœur Sara, âgée de 19 ans, termine sa deuxième année en techniques agricoles. 

« Sylvain est un accro du travail et il le sait bien. Ses collègues se demandent comme il réussit à tout faire », affirme sa conjointe en riant. « Il prend ses vacances au printemps pour la vente aux serres, puis à la plantation des pommes de terre, et ensuite à la récolte des pommes de terre. Nous, au lieu de prendre des photos à la plage, on prend des photos dans les champs. »

Même si elle fait son deuil des vacances – une ou deux journées dans l’année font son bonheur – Karine Desbiens ne regrette pas son ancien emploi. « On travaille fort en agriculture. Mais ici, quand on monte en haut des terres et qu’on regarde le paysage, on se rend bien compte de notre chance d’avoir une bonne vie », affirme-t-elle.


Équipement techno

Le remplacement des 14 fournaises à l’huile et au bois par deux chaudières à biomasse a carrément changé la vie de la famille Tremblay. Cet appareil créé par la firme Sequoia, de Saint-Denis-de-Brompton, lui a permis tout d’abord d’importantes économies financières, évaluées à quelque 20 000 $ par année, en achat d’énergie. Ce système centralisé maintient aussi dans les serres une température constante, appréciée autant par les plantes que par les travailleurs. Enfin, son exploitation nécessite un minimum de temps. « Auparavant, il fallait se lever toutes les deux ou trois heures pour mettre du bois dans les 14 poêles », dit Sylvain Tremblay.  


Le bon coup de l'entreprise

Karine Desbiens et Sylvain Tremblay ont pris une décision audacieuse en pleine pandémie. Au lieu d’installer des kiosques un peu partout dans les secteurs de Chicoutimi et de La Baie, ils ont proposé à leurs clients de venir acheter leurs fleurs et leurs plants de légumes directement à la ferme. Pourquoi? Pour économiser les frais de permis et de location des terrains, ainsi que pour s’épargner bien des soucis logistiques et de gestion d’employés. Le pari était énorme, puisque leurs serres sont situées dans un rang peu fréquenté, à 18 kilomètres du centre-ville de Chicoutimi. Ils ont gagné leur gageure avec un service hyper personnalisé : chaque client possède son dossier dans lequel se trouve l’historique de ses achats. « Ils peuvent apporter leurs paniers à l’automne et constater sur place notre variété de fleurs. Ils aiment découvrir chacune des serres. Nous les aidons ensuite à confectionner leurs arrangements pour le printemps suivant », explique la productrice.  

Fiche technique
Nom de la ferme

Ferme Sylvain Tremblay

Spécialité

Horticulture et pommes de terre

Année de fondation

1911

Noms des propriétaires

Sylvain Tremblay et Karine Desbiens

Nombre de générations

4

Superficie en culture

100 acres de pommes de terre